Je viens de terminer trois jours de "formation", sur un sujet tellement pipeau que je n'ose l'évoquer ici (de l'art de perdre son temps et d'enfoncer les portes ouvertes).
Mais bon, un animateur, six autres cobayes, chacun extrêmement poli, courtois, aimable, et même intéressant, quand il parlait de son expérience et non du sujet du stage.

Le problème, c'est que je dors. Si j'aime My own private Idaho, c'est aussi à cause des catalepsies du héros. Dès que j'arrête de bouger, de parler, de m'activer, je dors. J'ai parfois l'impression d'ouvrir la fenêtre et de planer comme le personnage de Folon, d'autres fois de tomber dans un puits, mais dans tous les cas, je m'évade du réel, je suis ailleurs.
Ce n'est pas de la rêverie, je dors réellement, si je garde les yeux ouverts (dans un ultime sursaut de politesse, comme durant ces trois jours), ils se révulsent, ils deviennent blancs (j'ai recueilli des témoignages), je peux ronfler (horreur et malédiction), je peux tomber (debout dans un train, c'est arrivé une fois). Je peux dormir en marchant, j'ai un témoin, il m'a rattrapée alors que je partais dans le fossé (marche de nuit, Paris-Mantes, 52 ou 54 km je ne sais plus).

Imaginez le supplice pendant trois jours, sept dans une salle, les tables en U, moi presque en face de l'animateur. Je lutte comme je peux, je me mords les doigts, je m'assois à l'extrême bord de ma chaise, je m'agite (on dirait que j'ai six ans). Et je dors.
Si ce n'était le fait que ce n'est absolument pas prévu par la vie sociale, j'adore ça.
Je ne tombe pas dans le sommeil, mais immédiatement dans le rêve, et pas dans un rêve léger qui mélangerait songe et réalité, comme dans les périodes d'endormissement ou de réveil : non, un rêve très lourd, épais, insaisissable, un autre monde, dont je ne me souviens pas et qui ne laisse ses marques que sur mon humeur : tristesse, colère, désespoir, apaisement, silence, calme, solitude (jamais joie ou rire).
Comme durant ces trois jours je lisais par ailleurs Roland furieux, mes rêves me laissaient une impression d'étoffes riches, de velours rouge sombre et de galop de chevaux, de fuites et poursuites dans les forêts, quand j'émergeais entre deux transparents powerpoint, entre deux phrases…

Est-ce que cela se voit, est-ce que cela s'est vu ? Un peu, beaucoup ? Comme c'est malgré tout très gênant et irrépressible, je préviens en riant, sans insister, au premier déjeuner pris ensemble : «Oh là là, je vais encore dormir cette après-midi !»
Sourires polis et bienveillants.
Je croise des regards l'après-midi, un visage qui mime l'endormissement en souriant : bon, donc je viens de dormir et cela s'est vu. Car je n'ai aucun moyen de savoir moi-même ce qui se passe, ce que je fais, combien de temps ça dure, quelques secondes, une, dix, trente? Plus? (Non, ce n'est pas possible que ce soit plus. Ou bien si?)

J'ai lu un jour qu'il fallait sept minutes pour s'endormir. Je pense pouvoir m'endormir en trente secondes, une minute.

C'est tout de même très gênant. J'espère ne pas avoir été trop impolie, j'espère que mon impression d'avoir passé des heures entières à lutter contre le sommeil est fausse, que ce n'était que quelques minutes et que mon embarras me fait gonfler ces minutes.
Mais je ne peux en être sûre.