J'avais envie d'aller voir cette pièce: il y a plus de vingt ans un ami m'avait tenu un discours enthousiaste sur l'intelligence de la traduction: «The importance of being earnest, L'importance d'être constant, ah, que c'est bien trouvé!», etc. Cet ami ne s'enthousiasmait pas souvent et je l'aimais beaucoup, j'en avais gardé une certaine curiosité pour la pièce, sans compter mon goût pour Oscar Wilde.

J'étais malgré tout un peu inquiète. Je prévins H.:
— Tu sais, la pièce ?
— Oui ?
— Il faut que je te dise... il y a la cruche de Taxi qui joue dedans...
— Emilien ?
— Oui, c'est ça.
H. a fait une drôle de tête et a conclu charitablement : «Qui sait, c'est peut-être un rôle de composition».

C'est un rôle de composition. Frédéric Diefentalh est très bon. (Et cela n'a rien à voir, il ressemblait étonnamment ce soir-là à Daniel Auteuil. J'ai appris à cette occasion que Gwendoline Hamon est sa femme. Finalement, lorsque Diefenthal baisa furtivement le poignet de Gwendoline Hamon au moment des rappels, il ne fit que perpétrer ce qui choque Oscar Wilde dans la pièce: «Le nombre de femmes à Londres qui flirtent avec leur propre mari est absolument scandaleux.»)
Celui qui joue le moins bien est sans doute Lorant Deutsch. Nous n'avions jamais entendu parler de Marie-Julie Baup: elle est excellente. Elle ferait une merveilleuse Elisa dans Pygmalion de Bernard Shaw.

Je n'ose plus rien dire sur les décors de théâtre depuis que j'ai appris qu'aimer les décors du style Au théâtre ce soir est horriblement ringard. Personnellement, je trouve cela reposant, de même que les costumes d'époque (ou à peu près d'époque, enfin bref, pas de notre époque): un canapé est un canapé et le mousquetaire n'est pas habillé en martien, oui, c'est reposant.
Toujours est-il que j'ai un faible pour les pièces en costumes d'époque parce que les robes sont très jolies.

Donc le décor est reposant, les acteurs jouent bien, dans ce style à peine forcé des pièces de boulevard, et le texte d'Oscar Wilde est immoral: il faut aller voir cette pièce.

ALGERNON: En réalité, je ne suis pas du tout dépravé, cousine Cecily. N'allez pas croire que je suis dépravé.
CECILY: Si vous ne l'êtes pas, alors vous nous avez tous trompés d'une façon vraiment inexcusable. Vous avez fait croire à l'oncle Jack que vous étiez entièrement corrompu. J'espère que vous ne menez pas une double vie, faisant semblant d'être dépravé, alors qu'en fait, vous êtes parfaitement vertueux. Ce serait de l'hypocrisie.
ALGERNON, la regardant avec étonnement: Oh, naturellement je me suis conduit de façon plutôt irréfléchie.
CECILY: Je suis heureuse de l'apprendre.
ALGERNON: En fait, maintenant que vous soulevez la question, je me suis très mal conduit dans la mesure de mes modestes moyens.
CECILY: Vous ne devriez peut-être pas vous en vanter, même si je ne doute pas que cela ait été fort agréable.

Acte II, p 1467 dans la Pléiade
En sortant, C. constate: «Finalement, le titre est à prendre vraiment au pied de la lettre».