Jeudi nous sommes réveillés par un défilé continu de gens sous nos fenêtres. (Les rues étroites sont très sonores, un pas dans la rue paraît un pas dans le couloir ou l'escalier.) Ces personnes sont italiennes, endimanchées, de tous âges, elles portent des bouquets ou des présents, mais que se passe-t-il et où vont-elles?

Le défilé ne tarit pas. Petit déjeuner, fatigue générale, nous souffrons tous, qui de douleurs musculaires, qui de douleurs articulaires, ou de légère insolation, ou de rhume, j'abandonne ceux qui souhaitent se reposer et je sors avec C.
Bien entendu, nous décidons de suivre le flot, aussi discrets qu'Astérix et Obélix camouflés suivant une légion romaine. Il fait très beau, il est dix heures, il souffle la perpétuelle brise vénitienne (je n'avais jamais pris conscience avant ce séjour plus long de l'aspect portuaire, maritime, pêcheur, de Venise. Venise sur l'eau, c'était un exotisme, une curiosité, un miracle architectural, Venise empire maritime, c'était de l'histoire et de la géographie et du commerce, mais la vie quotidienne et actuelle de Venise, une vie ressemblant à celle de n'importe quel port, je ne l'avais jamais ressentie avant ce séjour). La file s'étire le long du Dorsoduro jusque devant l'Académie d'architecture, là, sur le pont menant à Saint-Nicolas-des-Mendiants, un jeune homme et une jeune fille préhistoriques couverts de peaux de bêtes se font tartiner de mousse à raser ou de nutella et sont soumis à quelques épreuves. Deux personnes tiennent de grandes couronnes de lauriers.
«Du bizutage!» soufflé-je à C. Mais cela n'a pas grand sens: un bizutage en fin d'année? La remise des diplômes? L'ouverture des inscriptions pour l'année prochaine? Et pourquoi les parents sont-ils là? Une affiche sur l'église utilise le terme "Laurea" : fête des lauriers ou fête des lauréats?

Nous en profitons pour visiter Santa-Nicolo (premier baroque, agréable par sa dimension intime qui change de la volonté de spectaculaire des églises visitées jusqu'ici) et rentrons tranquillement. Sur notre chemin, plusieurs cafés annoncent qu'ils participent à ce qui me paraît l'équivalent d'un "pot de thèse": un pot de thèse généralisé dans tout un quartier? C'est décidément mystérieux.

Nous rentrons. H. est finalement sorti lui aussi, et lui aussi a suivi le flot. Il a discuté (en anglais) avec un professeur: la tradition a trois cents ans, il s'agit de la remise des diplômes de fin d'année, les lauréats sont ainsi fêtés et gentiment chahutés tandis que discours et conférences sont prononcés à l'intérieur de l'université.

Après le déjeuner H. et moi sortons prendre un café sur la place au bout de la rue, le long du canal. Sont attablés un lauréat, ses amis et sa famille.
Le lauréat a une chevelure brune, lourde et bouclée de chérubin, il porte la couronne de lauriers sur les épaules, son sourire est éclatant. Il est nu, à l'exception d'un boxer blanc rendu transparent par endroits par la sueur, de hautes chaussettes crème et de fines chaussures italiennes.