La première fois que j'ai participé à un dépouillement, c'était à Aubervilliers, en 1991 ou 1992 (pour les européennes? je ne sais plus).

H. était un vieil habitué de la chose, ses parents, militants socialistes dans une mairie de droite, ont toujours activement participé à l'ensemble des opérations qui entourent une élection.
Pour moi c'était nouveau.

J'adore ça. Je crois que c'est le moment où je me sens le plus appartenir à une nation, le moment le plus solennel d'une vie en république. Et cela prend une forme si simple, si humble: compter les enveloppes, faire des tas de cent, recompter les tas de cent, les attribuer chacun à une table de trois ou quatre personnes, une pour ouvrir les enveloppes, une pour annoncer le nom à voix haute, une ou deux pour faire un bâton en face du nom annoncé… Puis compter les bâtons, recompter les enveloppes, recompter les bulletins, à chaque table; faire les additions, signer le procès-verbal... Tout se déroule dans un silence religieux, au début de la séance lecture a été faite du Code électoral, tout rire, toute exclamation sont proscrits, la lecture d'un bulletin nul comportant des commentaires peut faire invalider l'élection dans la circonscription. De loin en loin un émissaire de la mairie vient prendre des nouvelles, savoir si nous avons bientôt fini, car il faut ensuite additionner les résultats au niveau de la commune puis les communiquer au préfet.
Les résultats du bureau tombent, chacun reste impassible, les habitués savent que cela ne représente ni le vote de la commune ni le vote du pays. Puis les chips, le rosé, le retour dans les rues désertées, les "autres" sont devant la télé, ils en savent déjà plus que vous.

A Aubervilliers, j'ai compris que si la banlieue votait "rouge", c'était peut-être parce qu'elle était ouvrière, c'était surtout parce qu'elle était habitée par d'anciens résistants: inéluctablement, cet électorat était en train de disparaître.
A Aubervilliers, un ami américain a assisté au dépouillement en se moquant de nous, il était atterré par tant d'archaïsme: comment, le vote n'était pas électronique? J'ai beaucoup pensé à lui en novembre 2000. Je suis résolument contre le vote électronique, pour des raisons pratiques et affectives.

Ce soir, à huit heures moins cinq, je serai présente pour le dépouillement (pour ceux que cela intéresse, il suffit de se porter volontaire quand on va voter, il est rare qu'il y ait trop de volontaires).