J'ai déjeuné d'un sandwich au roastbeef et d'un verre de rouge au comptoir du café à l'angle du boulevard Raspail et de la rue du Cherche-Midi. A une époque, l'un des serveurs de ce café était si beau que je faisais un détour rien que pour venir le regarder. Je suppose que c'était un étudiant, il faisait si peu serveur… Il n'est plus là mais les sandwiches au roastbeef, excellents, sont restés une habitude.

A côté de moi, deux poivrots; pendant que l'un s'absente, l'autre demande laborieusement la note:
— J'ai commandé ce verre, et puis j'ai offert celui-là à Monsieur, alors lui il m'a offert celui-là…
— Donc un blanc et un kir, résume la serveuse.
— Non, j'ai commandé ce verre-là, insiste le poivrot en montrant le premier verre.
La serveuse impavide amène la note comportant le blanc et le kir.
L'autre revient, je les entends discuter, impossible de lire, le jeune homme à ma gauche a des yeux bleus de l'exacte couleur de sa chemise et un pull bleu marine noué sur les épaules, «Quand on est solitaire c'est pour toujours», énonce l'un des poivrots, je ferme mon livre, «Dardanelles… mon grand-père… j'ai fait cuire des hérissons…», le jeune homme allume une pipe, son alliance est en or blanc.


Le soir je fais les soldes, machinalement.
Mon quota de robes sérieuses et de robes à bretelles (pour ce que ça sert cette année) étant épuisé, j'ai pu enfin faire dans l'irresponsable : deux robes cent pour cent viscose coupe nuisette femme enceinte, imprimées l'une comme les robes de Mireille Darc dans Elle boit pas, elle fume pas, mais elle cause, l'autre comme un couvre-lit de ma grand-mère que j'aimais beaucoup et qui a été donné, et une combinaison bustier très douce genre Babygro en plus sexy.

Chic. Je ne vois pas trop quand je vais pouvoir porter ça mais c'est pas grave.