Je fais le ménage le moins souvent possible et je n'ai pas le temps de m'occuper du jardin (ce que je regrette davantage que le ménage, les plantes étant les êtres les moins ingrats que je connaisse).

Lorsque je veux m'occuper du jardin, je suis assez rapidement désarmée par la pugnacité des mauvaises herbes : je n'y peux rien, elles me font rire et me remplissent d'admiration. Quand la même plante, déracinée à deux ou trois reprises, repousse à un quatrième endroit, faisant même un coude pour aller chercher le soleil, j'ai envie de rire, et je ne me sens pas la force de lui refuser son bout de ciel si chèrement conquis.
Au fond de moi, l'obstination des plantes me rassure : quelle que soit la malfaisance humaine, elles sont là, poussent dans les gouttières, prennent racine dans les failles, font éclater le ciment, le goudron… Allons, tout n'est pas perdu. Mais je fais un bien piètre jardinier, surtout si l'on songe qu'une chenille poilue obtient toute mon indulgence, pour peu qu'elle soit suffisamment bizarre. Je ne peux pas la détruire, même si elle mange les rosiers : Dieu sait quel papillon en sortira.

En temps normal, l'agitation d'une maisonnée suffit à cantonner les araignées et les insectes dans les failles insoupçonnées de la maison, sans compter que de jeunes chats sont d'efficaces insectivores.
Mais après une semaine d'inoccupation, la maison devient le royaume des araignées. C'est fascinant. Les faucheux (ou la même famille, ces araignées toutes en pattes) tendent des fils poisseux au ras des plafonds et dans les angles lumineux. Quand les œufs éclosent, les centaines de petites araignées prises dans le nuage de toile ressemblent aux nébuleuses célestes (j'ai voulu les prendre en photo avant de les aspirer, mais H. a trouvé profondément choquant que je veuille photographier mes futures victimes; j'ai eu l'impression d'avoir bafoué la convention de Genève).
Il y a les grosses araignées noires, que j'appelle «araignées d'églises», parce qu?elles me paraissent avoir une prédilection pour les endroits sombres et anciens. À une époque, il y en avait une qui sortait chaque soir à l'endroit où je rangeais mes bottes. Je la tolérais, observant avec curiosité ses habitudes, jusqu'à ce qu'une seconde apparaisse : j'ai alors imaginé des grappes d'œufs, des dizaines d'araignées noires, et j'ai massacré tous les spécimens à ma portée. (Chaque fois que je tue un insecte ou une araignée, je me demande si c'est un mâle ou une femelle.)
Je ne fais pas de chasse systématique aux araignées, surtout l'été : elles protègent des moustiques. Un jour, j'en ai vu une piquer et emmailloter un insecte à l'allure de poisson-chat argenté, d'un centimètre environ : je déteste cette bestiole, tout animal m'en débarrassant est un allié naturel.
Mais les araignées les plus merveilleuses sont celles qui vivent dehors. Nous avons une espèce, grosse comme une pièce de un centime, cuivrée tigrée, qui tisse de magnifiques toiles entre des points incroyablement éloignés, trois à quatre mètres parfois (comment est-ce possible?). L'une d'entre elles est entrée par hasard dans la cuisine (elles n'essaient d'entrer qu'à l'automne en temps normal) et a tissé une toile entre l'évier et une chaise pendant la nuit. H. ne l'a pas vue et est passé à travers juste avant son départ.
Sans cela, je n'aurais pas eu le courage de détruire un si bel ouvrage. J'aurais laissé mon araignée tranquille toute une semaine. Là encore, je suis sans défense devant tant d'adresse et d'obstination.