Hier soir.
John Huston, Clark Gable, Marilyn Monroe, Montgomery Cliff

N'ayant vu que les comédies de Marilyn Monroe, je ne m'attendais pas à une telle claque. A travers la rencontre de trois hommes et une femme, nous assistons à la fin de l'époque de la conquête de l'Ouest, au douloureux passage, pour les hommes qui vivaient selon ses codes, aux codes d'une civilisation moins violente, plus policée, moins libre aussi. C'est la conversion du chasseur en agriculteur, de l'homme renonçant librement à une vie indépendante pour accepter les contraintes de la société, c'est-à-dire une famille, par amour d'une femme mais aussi d'un pays, de sa terre et de sa faune. Ce film m'a paru appartenir à la lignée des John Steinbeck (Les raisins de la colère) et c'est sans surprise que j'ai découvert ensuite qu'il était écrit par Arthur Miller: il est proche de Mort d'un commis voyageur. C'est la fin d'une époque résumée dans ces quelques paroles, lorsque les hommes s'apprêtent à aller chasser des mustangs sauvages: «Avant, on les offrait aux gosses à Noël, les gosses aimaient cela. Maintenant ils préfèrent les scooters».

Le visage de Marilyn Monroe diffuse toujours son extraordinaire douceur, cette qualité enfantine qui tout à la fois console et donne envie de la protéger. John Huston se moque d'ailleurs un peu des hommes dans les premières minutes du film qui montrent la voiture cabossée de Marilyn: les hommes provoquent des accrochages afin d'engager la conversation avec elle.
Lorsqu'on connaît un peu la biographie de Marilyn, les scènes et les dialogues qui mettent en place son personnage, Roslyn Taber, jeune divorcée, serrent le cœur, on a l'impression poignante qu'elle raconte sa propre vie. Comment être moins seule, où trouver un homme qui ne soit pas obnubilé par lui-même et le désir de la posséder, mais qui soit capable de s'ouvrir et de partager une vie, la vie? Et comment y croire quand cet homme semble se présenter?

Le film est extrêmement ramassé, concis, il donne tous les renseignements nécessaires à la suite de l'action sans jamais insister, par une suite de rimes visuelles ou dialoguées (par exemple, des photos de Roslyn danseuse de cabaret sont montrées une dizaine de secondes, de façon anecdotique mais inmanquable, ce qui permet à la fois d'attiser le désir du garagiste et de préparer l'un des dialogues cruciaux de la fin, quand Clark Gable fait remarquer à Roslyn qu'il ne l'a pas méprisée malgré cette profession, mais toujours admirée).
La construction est très précise, privilégiant les plans poitrine, insistant sur les visages, faisant monter insensiblement la tension qui devient insoutenable lors de la capture des mustangs, ces derniers êtres libres sur la terre américaine.