L'une des raisons pour lesquelles j'ai abandonné les visites de châteaux, expositions, musées, outre la réticence de mon entourage, c'est la difficulté à dompter horaires et calendrier. C'est un monde où l'exception est la règle et où le théorème de Murphy s'applique systématiquement: fermé le week-end alors que vous n'êtes libre que le week-end, ouvert le week-end alors que vous serez reparti, fermé à partir de 16 heures, ouvert à partir de 16 heures, fermeture exceptionnelle... Grrrrr. Cela m'exaspère.
Il faudrait téléphoner systématiquement, ce qui m'exaspère également.


Lundi, j'avais l'intention de visiter le musée d'Art moderne de la ville de Paris. Le bâtiment est désert, sinistre, les tables sur la terrasse prennent l'eau dans l'attente que celle-ci se transforme en mouss, les fenêtres sont sales, tout respire l'abandon. J'aurais pourtant juré que ce musée avait rouvert au printemps. Je feuillette fébrilement L'officiel des spectacles: le musée est ouvert tous les jours sauf le lundi.
Je maudis les petits malins qui ont voulu se démarquer des jours de visite des musées nationaux, sur lesquels je m'étais intuitivement appuyée (jour de fermeture le mardi). Je suppose que cela permet d'avoir un musée à visiter le mardi...

Qu'à cela ne tienne, un coup de fil à C. pour qu'il nous rejoigne à l'hôtel de Soubise, que nous tenons à visiter depuis les concerts "des jeunes talents" auxquels nous avons assisté. Nous arrivons essouflés, une heure avant la fermeture des guichets (en espérant que la fermeture des guichets ne coïncide pas avec la fermeture du musée): il était inutile de tant se dépêcher, le musée est exceptionnellement fermé pour réfection jusqu'au 21 août.

Vendredi, j'emmène C. visiter le château de Champs, résidence de la duchesse de Pompadour avant qu'elle n'achète Ménard. A la suite de divers malentendus, nous n'avons pas déjeuné et nous nous arrêtons au café manger un sandwich (rillettes pour l'un, saucisson sec pour l'autre) et boire un coca. À côté de nous une femme sans âge dans un anorack léger gris/kaki parle toute seule en scrutant l'écran de télé par dessus son épaule: «douze, dix-sept, dix-huit, zut il m'en manque un, si j'avais coché le dix c'était bon». Elle a l'air désespérée, elle fouille dans son sac, se lève, va faire enregistrer une autre grille, je regarde l'écran, en bas à droite s'affiche «prochain tirage dans:» et les secondes défilent dans un compte à rebours. Il y a un tirage toutes les trois minutes, je suis éberluée, je m'empare d'une grille sur la table d'à côté pour lire les instructions.
La femme revient, se rassoit, le manège se répète. Le patron qui jouait aux dés au comptoir avec un client vient s'assoir en face d'elle, visiblement il a perdu, il crie à la serveuse d'un air mi-furieux, mi-dégoûté: «donne-lui ce qu'il veut, trois sandwiches s'il veut.» Il ajoute à la cantonnade: «On croit qu'ils jouent aux dominos, mais ils en veulent à votre chemise.» Le client, un jeune homme, rit, penaud.

Nous quittons le café. C'est le dernier bâtiment sur la route avant le château, et c'est surprenant, ce château ainsi dans la ville (une ville très basse, austère, sans grâce). Des douves, une grille, un aimable gardien qui nous invite à entrer: «Ce n'est pas payant? — Euh... Le château ne se visite pas, on a eu des problèmes d'infiltration l'année dernière».
Je suis furieuse et déçue, je regarde C.; maintenant qu'on est là, autant visiter les jardins.
Le jardin à la française est immense, quelques herbes folles profitent déjà des vacances des jardiniers. Une très belle fontaine représente Scylla, entourée de monstres qui ressemblent à des loups. Nous nous arrêtons lire quelques minutes sur un banc, mais le vent est trop froid pour rester immobiles longtemps. Au loin, entre les arbres, on aperçoit des immeubles et une tour de radiodiffusion, un autre monde.
En revenant, un coup d'œil à travers les carreaux nous permet de regretter encore davantage que les visites soient suspendues. Qu'il vous suffise d'imaginer que le château a servi de décor au film Les liaisons dangereuses.