Hier, j'ai passé six heures dans cette application. C'était une seconde tentative, la première datait de début décembre. J'avais fait un tour, je n'avais pas compris grand chose, je m'étais énervée sur une adresse mail mal redirigée, je m'étais désinscrite.
Cette fois-ci j'avais quelques pistes. J'ai replongé, sans doute dans la foulée d'un projet wikisource (ne cherchez pas de lien direct, le seul lien, c'est le temps passé à regarder l'écran à se demander «et maintenant, quoi?», c'est l'amour de la connexion et du saut dans l'écran à la Gibson et des heures perdues.

Je n'ai pas cherché la version française. Je ne comprends pas tout en anglais, du moins pas précisément (mais il n'est pas sûr que je comprendrais mieux en français). Il faudrait la possibilité, comme dans LinkedIn, de voir ce que voient les autres, une fois les différentes options de confidentialité choisies. Je crois que j'avais créé un second profil bidon en décembre, justement à cette fin (adaptation à l'informatique de la passion du démontage-remontage pour comprendre "comment ça marche"), j'ai eu la flemme de le réactiver. Je n'ai pas grand chose à cacher, mais je ne vois pas trop l'intérêt d'aller ennuyer le passant avec des détails… Et puis ça m'agace de ne pas savoir exactement ce que je fais. J'aime comprendre. Enfin bref.
J'ai fait comme d'habitude, j'ai agi par imitation. J'ai trouvé deux ou trois profils très "chargés", et j'ai testé ce qu'il y avait chez eux. Tests en tout genre, bavardages futiles, petits cœurs et bêtises… La page de Richard Descoings, directeur de Sciences-Po, est à ce sujet impressionnante; j'espère que c'est son petit neveu qui la maintient, et pas lui. Ou alors il souhaite ne pas cacher son côté futile et près du peuple. Great of him, mais à son habitude, il en fait un peu trop. (Enfin, il y a deux comptes à ce nom, je parle du public, bien entendu (sachant qu'il y a un groupe "attention au faux Richie"…)).
(C. qui passait dans mon dos s'est moqué de moi: je suis trop vieille ou trop intello pour ces bêtises, à ce que je comprends. Je l'interroge, fais une recherche sur le nom de sa professeur de français, qui a déclaré en "amis" les élèves de sa classe. Elle se sert de Facebook comme d'un outil de suivi pédagogique pour élèves branchés… Les temps changent.)

Il en ressort que Facebook ne doit pas avoir la même valeur selon l'âge de l'utilisateur, et selon sa propension à la nostalgie.
J'ai exploré les groupes comme je pouvais, noms de villes, noms d'auteurs, noms d'écoles, de lycées. Puis j'ai cherché des noms. J'ai dû me rendre à l'évidence, je ne me souviens d'aucun nom. Comment s'appelaient Castor et Pollux? Je revois leurs têtes, mais je ne sais même pas si j'ai connu leurs prénoms un jour. Si, Castor, c'était Philippe, voilà. Nom de famille, avec un ''l'' ou deux ''l'', ''au'' ou ''aud'' ou ''eau''? Bah, de toute façon… Quel sens cela a-t-il? Si je n'ai pas gardé contact, c'est que je n'avais pas l'intention de garder contact. Ou c'est que je n'ai pas osé, nous nous connaissions si peu. Jacques avec qui j'ai joué au tarot une année entière, dont le père visitant New York y était resté pour devenir taxi, Jean-Luc, absolument terne sauf quand il commençait à raconter ou décrire quelque chose, alors meilleur que le meilleur Frédéric Dard, et M.Météo, qui sortait avec une Marie-Jeanne… Je ne connais aucun nom, et Facebook ne me servira à rien. Et si je les trouvais je n'aurais rien à leur dire.
J'ai retrouvé trois visages, Bruno est totalement lui-même, est-il encore avec Frédérique, Rémi, si doué, dont je vois qu'il a trahi la cause de la littérature et de la philosophie (je lui en veux), Claire, dont je disais à l'époque de Basic Instinct qu'elle ressemblait à Sharon Stone (avec dix ans de moins (elle posait pour les Beaux Arts, et il était impossible de lui en vouloir d'être aussi jolie car elle était délurée et intelligente et attentionnée), toujours aussi jolie, et qui visiblement a poursuivi d'époustouflantes études tant par leur niveau que leur variété. Il y a quelques photos en ligne, je suis contente de voir B. que j'avais vu quand il avait deux ou trois mois en 1991, je découvre qu'elle a eu une petite fille…
J'ai découvert deux jeunes gens nés en 1989 qui doivent être les fils et fille d'amis perdus de vue. L'impression est étrange et très douce, je suis contente de les voir, ils ont l'air heureux.

Est-ce indiscret, est-ce voyeur de ne pas contacter les gens que l'on reconnaît? Est-ce de l'espionnage, une impolitesse? Cela n'aurait aucun sens de les contacter, je n'en ai aucune envie, mais je suis heureuse d'avoir de leurs nouvelles, de savoir ce qu'ils sont devenus.
J'ai l'impression de forer une carotte temporelle, d'observer les strates du temps, j'ai l'impression d'être en 84, 89, 92, et de voir l'avenir. J'ai l'impression d'être à la dernière page d'un roman du XIXe siècle dont l'auteur prend la peine de nous apprendre en quelques lignes l'avenir de chaque personnage.
Mais il me manque beaucoup de personnages.