Parfois il me vient comme une paresse d'écrire.

Ce n'est pas le célèbre "à quoi bon?", parce que, que nous l'avouions ou non, nous connaissons tous la réponse à cette question: on écrit que pour soi, pour le plaisir ou le besoin d'écrire. Toutes les autres raisons, de l'exhibitionnisme au désir de partage ou de diffusion des connaissances en passant par la prétention, sont secondaires. À "à quoi bon?", la réponse est "moi" (en d'autres termes, "parce que je le vaux bien"). Il me semble d'ailleurs que beaucoup de blogueurs arrêtent de bloguer ou ralentissent nettement quand ils ont tissés suffisamment de liens dans la vraie vie, quand leur recherche (inconsciente, sans doute, car qui aurait pu prédire il y a deux ou trois ans que les blogs seraient un moyen si efficace de rencontrer des gens et de se faire des amis (je me souviens de cette presse catastrophiste et ignorante parlant d'une génération qui ne vivrait que dans un monde virtuel "c'était terrible, qu'allait devenir la société?")) de contacts a été satisfaite: ils ont moins besoin d'écrire, ils ont trouvé autre chose qui les satisfait davantage que l'écriture.

Ce n'est pas non plus le manque de sujets. Souvent il est vrai il me manque le type de sujets que j'aime tant chez les autres blogueurs, l'anecdote cocasse: un peu de mise en scène, un peu d'habillage, et hop, un billet court (parfois long, ce n'est pas un critère, mais j'envie de savoir faire court), drôle, bien enlevé. C'est ce que préfère chez les autres, c'est ce que je ne sais pas faire. Ma vie manque d'anecdotes cocasses isolées, elles ne sont souvent cocasses que suite à trois pages d'explications maladroites.
Laissons tomber.

Il reste deux types de sujets: les introspections (mais je crains d'écrire comme la blogueuse X.) ou les revues de livres (mais je crains que Y. ne se moque de moi (in petto, mais quand même)).
Ce ne sont pas de véritables raisons pour ne pas écrire. Dès qu'on se met à écrire publiquement, on sait qu'on est ridicule, forcément ridicule, aux yeux d'un certain nombre de lecteurs (heureusement inconnus pour la plupart. C'est plus dur de savoir que c'est aux yeux de lecteurs qu'on connaît, encore plus aux yeux de lecteurs qu'on estime).
Mais finalement ce n'est pas si grave. D'une certaine façon, on s'en fiche un peu malgré tout. Plaire n'est pas un bon critère d'action, notre époque semble même s'attacher à prouver que c'est un très mauvais critère (déplaire systématiquement aussi, d'ailleurs, comme ne le comprennent pas certains). (Alors quoi? "Rester soi-même"? Non, continuer à se chercher, continuer à élaborer les critères de son action: que veux-je faire? que voulais-je écrire? (pour un éloge du tâtonnement)).

Non, il me vient une véritable paresse d'écrire: aligner un mot après l'autre, écrire le mot suivant si évident que j'ai envie de ne plus écrire qu'un mot sur trois ou quatre, de sauter les étapes intermédiaires entre le début et la fin du paragraphe, tant il me semble que la fin se déduit du début et qu'il est inutile de dérouler les étapes de la pensée. Mais sans cheminement, la pensée devient obscure, il faut tout écrire entre deux points, tracer la courbe. Je me sens paresseuse.
Et pendant que j'écris, je ne fais pas autre chose, je ne lis pas, je ne regarde pas ou ne re-regarde pas la saison 1 de Oz, mais pendant que je re-regarde la saison 1 de Oz je n'écris pas; or il n'y a qu'écrire qui oblige à penser, à obtenir un certain affûtage du raisonnement. C'est un détour nécessaire qui oblige à poser devant soi les mots, les idées, les images, à trier, à ordonner, à jeter. C'est le moment où l'on ne peut plus tricher avec l'informe, l'à-peu-près.
Est-ce si important d'affûter sa pensée?
Pour moi, oui.
Il reste que le blog n'est sans doute pas le meilleur lieu pour cela, ou même le lieu pour cela. Son intérêt, c'est qu'en étant public, il devient une sorte d'obligation morale: si je n'écris pas, il sera public que je n'écris pas.
Et si j'écris sans publier?
J'ai essayé: je ne m'y tiens pas.