La première fois que j'ai vu des paysages de la Pologne, la forêt, les rivières, le ciel, c'était en 1985, dans Shoah, de Lanzmann.
C'est aussi avec ce film que j'ai appris qu'Oswiecim était une ville actuelle, dans laquelle on vivait encore aujourd'hui.
Ça ne me serait jamais venu à l'idée. Il faut dire que je n'avais pas imaginé que cela pouvait être une ville, je pensais que ça n'était qu'un camp, le nom d'un camp.

Am Ende kommen Touristen. Je n'aurais pas traduit par Et puis, les touristes. J'aurais pris quelque chose comme Tout finit par des touristes, car c'est vraiment ce que je ressens, pour Auschwitz comme pour le reste. Tout finit par des touristes et des consommateurs.

J'avais compris ce qu'était devenu Auschwitz en juillet 2007: un article du Monde sur Dix jours «polonais» de Henri Raczymow montrait une photo (de Léa Eouzan) non pas du camp, mais de ce qu'on voyait quand on tournait le dos au camp : des panneaux publicitaires pour des restaurants et des parkings.


Je suis donc allée voir ce film : un jeune Allemand a choisi de faire un an de service civil plutôt qu'un an de service militaire. Il pensait aller à Amsterdam ou Anvers (je ne sais plus), il se retrouve à Auschwitz, à donner des coups de main ici et là et à servir d'aide ménagère-chauffeur à un vieux Polonais de 80 ans, ancien prisonnier du camp, qui vit là et aide à la conservation des valises des détenus appartenant au musée.
C'est un film par petites touches, très bien fait, qui évoque la bizarrerie de cette situation («Eh les gars, les militaires allemands sont revenus à Auschwitz!» : rire général) et les relations du jeune Allemand avec le vieux Polonais, avec son responsable, avec sa logeuse. Il ne se passe presque rien, j'ai même pensé un moment que le réalisateur avait choisi de faire un "non-film", un film sur l'ennui, le temps qui passe, le quotidien, l'absolu contraire du pathos.
Il n'a pas choisi cette voie extrême mais en est resté malgré tout assez proche.

Ce n'est pas un film sur l'Holocauste, c'est un peu un film sur ce que c'est que vivre à Oswiecim aujourd'hui (et la réponse est creuse: «je suis née ici, que veux-tu dire? Je ne comprends pas»), c'est surtout un film sur ce qu'est vivre en Pologne aujourd'hui: l'omniprésence des capitaux et des investissements allemands, l'espoir que représente l'Europe. Le jeune homme allemand ne sait pas ce qu'il veut, la jeune fille polonaise le sait très bien: partir de là. L'opportunité lui en est offerte par un concours pour être traductrice à Bruxelles. (Sans illusion: «Quand je leur dis que je venais d'Auchwitz, ils ont eu l'air horrifiés. C'est pour cela qu'ils m'ont prise».)
Et j'ai pensé aux nonistes : des enfants gâtés.

Et c'est un film sur la vieillesse. A quoi sert-on quand on vieillit, comment accepter d'ennuyer les autres, de ne plus intéresser, de se tromper à vouloir réparer des valises pour qu'elles servent alors que ce qu'on attend de vous ce sont des restaurations qui préservent l'histoire?
Questions parallèles du vieil homme et du jeune homme: je ne sers plus à rien, je vais chez ma sœur, dit le vieil homme après une ultime humiliation. Mais non, répond le jeune homme, vous témoignez, vous êtes utile. C'est trop compliqué ici, je rentre à Berlin, dit le jeune homme après une initiative malheureuse de plus. Ce que vous faites ici est formidable dit le touriste, quel investissement.

Sans pathos. J'ai l'impression que nous allons voir de plus en plus de bons films allemands.