Je déjeune avec Paul Rivière environ une fois par semaine depuis janvier ou février 2000.

A l'origine, l'idée était d'échanger des connaissances ?nologiques (les siennes) contre des connaissances littéraires (les miennes). Nous avons donc tout naturellement commencé par nous rencontré dans un bar à vins, passage Puteaux (rue de l'Arcade), puisque je travaillais boulevard Haussman. Vins au verre ? nous comparions deux vins à chaque repas, j'apportais des échantillons de ma bibliothèque.

Fin 2001, j'ai changé de lieu; j'ai travaillé deux ans à l'angle de la rue Saint-Georges et de la rue des Victoires. Changement de restaurant, découverte de "Chez Georgettes", ses oreilles de cochon aux échalotes et son fontainebleau.

Fin 2003, j'ai atterri rue Washington: nous avons pris nos quartiers au Cercle de l'aviation sur les Champs-Elysées (avec un service détestable, d'une familiarité déplacé, et une cuisine très moyenne. Bizarrement Paul n'y semblait pas du tout sensible. Qu'importe, nous étions seuls dans une immense salle décorée de bouquets extravagants).

Fin 2004, je suis revenue dans le quartier de la Madeleine. Nous avons erré un peu, il fallait trouver un restaurant pas trop cher (même si Paul, un jour que je lui faisais timidement remarquer que j'étais gênée qu'il m'invitât toujours, me déclara royalement que «j'étais son budget cigares» (j'ai le chic pour m'attirer des mots gentils qui sont objectivement des mufleries) (il avait arrêté de fumer quelques années plus tôt)) et pas trop bruyant, Paul devenant de plus en plus dur d'oreille.


Un jour, Linda, la serveuse de notre premier bar à vins, a contacté Paul sur son téléphone portable pour prendre de ses nouvelles. Elle lui a arraché notre clientèle. Linda est portugaise, elle a une cinquantaine d'années, trois petits-enfants, une silhouette de jeune fille.
Aujourd'hui, je ne sais pourquoi, l'air du temps ou ma tête, elle nous a apporté une coupe de champagne juste avant le dessert. Nous l'avons chaleureusement remerciée, lui disant qu'elle avait eu une bonne idée puisque nous avions quelque chose à fêter.

— Ah bon ? Vous êtes grand-mère ?