Tandis que j'explore un rayonnage, une dame entre un peu affolée dans la librairie française près de San Giovanni e Paolo.
— Ah, j'ai eu du mal à vous trouver! Vous auriez un plan de Venise?
Le libraire lui en tend un :
— Tenez, c'est le meilleur.
— Ah merci, je suis fatiguée de me perdre.
Et j'entends H. intervenir sans réfléchir :
— De toute façon, vous vous perdrez quand même.

A priori, il existe quelques études sur les cartes du Palais des Doges, épuisées, mais les titres étant en italien, il va me falloir un peu de dextérité pour les trouver.


En cherchant à revenir dans l'église jésuite près de Fondamenta nuove, à quelques rues de la maison du Titien, nous sommes passés devant la vitrine d'un imprimeur exposant divers ex-libris, dont un chat au-dessus du nom de Joseph Brodsky. Je n'aurais sans doute pas osé entrer, mais H. a poussé la porte.
Cet imprimeur est francophile, et je pense qu'on doit pouvoir passer une après-midi chez lui à écouter ses histoires (il est très bavard), qui sont un peu plus que des anecdotes: il a pratiqué l'imprimerie auprès des pères arméniens sur leur île (l'imprimerie n'existe plus, je n'ai pas compris si le monastère était fermé ou pas).
Au grand ravissement d'H., il possède des jeux entiers de caractères en plomb et des plaques de marbre (et non en cuivre) pour imprimer de véritables lithographies. Je n'ai pas compris s'il possédait les caractères ayant servi à imprimer l'original de Pinocchio ou si l'original avait été imprimé là-même.
Il reçoit des commandes du monde entier et a l'air connu. Son échoppe est minuscule. Son fils se tait, je me demande s'il poursuivra l'œuvre avec le même enthousiasme que son père.

J'ai posé la question: il a été l'imprimeur de Joseph Brodsky, et il nous a montré une édition en russe de l'un de ses livres. Le chat de l'ex-libris avait été dessiné par Brodsky lui-même.

Gianni Basso, Fondamenta nove. Calle del fumo, 5301.