Le père de Paul Rivière avait deux frères. Tous les trois sont partis à la guerre en 1914 et, plus rare, tous les trois en sont revenus. Tous les trois se sont mariés en 1919 et trois enfants sont nés en 1920 et 1921.
Les trois cousins étaient proches. Depuis dix ans que je déjeune avec Paul, il m'a souvent parlé de Hubert, ambassadeur à la retraite, de sa femme E., paraplégique et néanmoins accomplissant ses devoirs d'ambassadrice avec une parfaite dignité, et de leur majordome camerounais, qui avait souhaité les suivre après les avoir rencontrés en poste en Afrique.
Hubert est mort début avril. Alors qu'il était tout à fait improbable que je le rencontrasse jamais, je ne peux que penser «Il est trop tard, maintenant je ne le rencontrerai plus», et c'est une idée étrange, tant je me suis habituée, à fréquenter internet, à finir par rencontrer les inconnus qui peuplent mon univers.
Il est mort début avril et Paul me l'a caché, sachant que cela me ferait de la peine.
J'avais bien vu que Paul n'allait pas très bien. J'avais attribué cela à la fatigue, c'était du chagrin.

Paul avait déjà perdu son frère aîné en janvier. Cette seconde mort l'accable. Hubert était son dernier refuge, celui qui n'était jamais trop occupé pour ne pas le recevoir, celui qui partageait ses plus anciens souvenirs.


Paul regrette que l'euthanasie soit interdite en France. Son défaut est l'impatience; il est entièrement tourné vers l'action, et même attendre la mort l'impatiente.
— Vous êtes en excellente santé. Même si elle était autorisée, vous n'y auriez pas droit.
— Mais à quoi bon? Qu'est-ce que je fais là?
Je ris.
— Vous avez de la chance de vous poser la question maintenant. Certains se la posent à quinze ans.
— Et ils arrivent à vivre soixante-dix ans comme ça?