Bovino a été l'occasion de me plonger dans les journaux de RC. J'en ressens une grande joie, un grand plaisir, que je n'avais jamais ressenti jusqu'alors, les journaux m'affectant par leur noiceur, par leur ronchonnade. Est-ce la fréquentation de Flickr qui me rend ainsi plus tranquille? Est-ce le dialogue renoué au sein des pages, est-ce le quitus accordé par le journal, après les années difficiles sur le forum du parti?

Je lis K.310 et je comprends mieux que l'auteur se soit plaint en juin 2003, (sur le site de la SLRC, c'est noté dans Rannoch Moor) du manque de réactions de l'opinion en général et de "ses" lecteurs en particulier. A l'époque j'avais trouvé que cela manquait de cohérence, de la part d'un auteur qui se prétendait éloigné du monde, d'ainsi quémander les réactions. Mais aujourd'hui je comprends et j'ai des remords d'avoir tant attendu. Dans K.310 RC se défend avec vigueur et rigueur, je comprends mieux qu'il ait attendu des commentaires, un soutien, du rire, et j'ai des remords.

Ce qui m'étreint surtout, à la lecture du premier semestre, c'est la colère, la colère devant tout un petit monde sans rigueur, qui répète des phrases sans avoir réfléchi, juste pour pisser de la copie, juste parce qu'il n'y a aucun risque à écrire la même chose que le voisin. C'est un tout petit monde qui règle ses comptes, qui prend sa revanche :

Il [un grand avocat] est persuadé (et je le suis aussi) que l'adversaire, pour moi, dans toute cette affaire, ça n'a jamais été les Juifs mais les journalistes, le corps des journalistes, la corporation des journalistes, que j'ai insultée de toutes les façons possibles, selon lui, et qui est trop heureuse de tenir, avec mes pages sur le "Panorama", une occasion rêvée de me faire payer tous mes péchés et d'en finir avec moi.
RC, K.310, p.282

Et puis malgré tout le rire, et la poésie.

Mes pages préférées sont les pages 278 et 279. En deux pages, échantillon de tout ce que j'aime, de tout ce qui me soutient, dans l'espoir que peut-être, l'art et les livres ne sont pas tout à fait inutiles (quelles preuves en avons-nous, si ce n'est notre intime conviction, et notre expérience renouvellée? Inexplicable, impartageable, mais nous reconnaissons d'instinct ceux qui partagent cette même expérience, ce même espoir):

Que "l'élite" ce puisse être, que ce soit, Jacqueline de Romilly aveugle et creusant Thucydidie, Claude Lévi-Strauss au musée de l'Homme ou tel étudit misérable dans sa gentilhommière au toit percé ou dans sa soupente parisienne, que "l'élite" tienne à la connaissance et au désir de connaissance, à l'étude, à l'usage, aux manières au temps, il ne faut surtout pas qu'une idée aussi déprimante puisse faire son chemin dans les esprits Ibid., p.278

(Quoi que... je ne comprends pas pourquoi. Pourquoi est-ce que cette idée ne laisse-t-elle pas tout le monde parfaitement indifférent, sauf ceux qui aiment l'étude, parce qu'ils aiment l'étude, et qu'ils se sentent moins seuls à savoir que d'autres l'aiment aussi? Et en quoi cette idée d'une élite, veilleurs pendant notre sommeil, est-elle déprimante, et non pas rassurante?)

Et puis les pages sur le bonheur, qui me paraissent si importantes («Mais à quoi ça sert, tout ça? ? C'est souvent ce que je me demande, épuisée vers deux heures du matin tandis que je m'endors au clavier. A pas grand chose, sans doute, mais voici une réponse possible: ça ne "sert" à rien, c'est un état d'esprit.