A midi passée chercher mon billet pour Ginzburg au musée du judaïsme. Prétendre que lorsqu'on hésite à acheter un livre il faut l'acheter est criminel. Flâner à la fois vite (peu de temps, pause déjeuner) et longtemps dans la librairie, avec toujours les larmes qui montent dans l'accumulation de ce genre de livres. Pensées incorrectes, est-ce que tous les salariés sont juifs, le musée respecte-t-il les obligations légales de diversité? (Je deviens bizarre, c'est qu'on doit beaucoup m'embêter.)

Comme Emmanuel Régniez avait attiré mon attention sur les 70 ans de la mort de Walter Benjamin, comme j'avais relu le matin même mes quelques mots sur la correspondance Strauss/Scholem, je vérifiai les livres de Gershom Scholem. J'ai acheté tout ce qu'ils avaient, je crois.

  • Gershom Scholem, Fidélité et utopie (je suis contente, je crois qu'il est épuisé);
  • Gershom Scholem, Sur Jonas, la lamentation et le judaïsme (Jonas, celui qui reproche au Seigneur d'être trop indulgent);
  • Gershom Scholem, La kabbale (inévitable);
  • Gershom Scholem, Benjamin et son ange (quand même);
  • Gershom Scholem, Walter Benjamin, histoire d'une amitié (l'amitié entre les grands hommes me fascine, me console, me réconforte);

et un livre que j'avais en son temps hésité à acheter en grand format. Je l'ai pris en poche:

  • Avraham b. Yehoshua, Le Responsable des Ressources humaines. (J'ai commencé par celui-là, bien sûr, abandonnant Frédéric II pour quelques heures.)

Tourné un peu en songeant à ma tentation de tenter d'apprendre l'hébreu, [en songeant] qu'il faudrait qu'un jour je raconte "mon histoire juive", [en songeant] que je semblais condamnée à (ou incapable de ne pas) retourner sur mes traces pour explorer chaque chemin abandonné trop tôt, [condamnée à] tous les reprendre pour vérifier que c'est avec raison qu'ils avaient été abandonnés. Chemin après chemin, il n'en reste plus beaucoup, je crois. Va venir le moment où il faudra avancer sans se retourner, où il n'y aura plus rien sur quoi se retourner, tous les souvenirs présents, vivants.



Le soir, bibliothèque historique de la Ville de Paris. Daniel Ferrer et Jean-Jacques Labia, l'incroyable projet de Balzac et Stendhal, réécrire La Chartreuse de Parme à quatre mains. Comme d'habitude j'ai davantage appris en une heure qu'en vingt ans. C'est très étrange, la façon dont le creusement du détail permet de peindre des panoramas entiers. A regarder une seule ligne d'écriture, des pans tombent, Balzac était bibliophile, Stendhal non, qui pouvait prendre des notes sur un livre ou y rédiger un contrat. Détail sans intérêt littéraire, mais détail qui donnera un relief à certaines réactions des personnages. Cela minuscule détail parmi une foule de précisions plus directement dans le sujet, la bataille de Waterloo et celle de Wagram, «Waterloo fut la Berezina de Balzac», ses Scènes de la vie militaire restées au stade éternel de projet; reproches et compliments, compliments qui sont des reproches et inversement, qu'est-ce que le style... Mais enfin il semble qu'ils s'aimaient bien.

Que j'aime cette bibliothèque. C'est drôle de se dire qu'au même moment dans Paris doivent se tenir des dizaines de conférences identiques, professeurs invités par des associations des amis de Trucmuche, tout cela gratuit, gratuit, qu'ai-je fait de ma jeunesse, ils me font rire ceux qui regrettent leurs nuits blanches et leurs beuveries, s'ils savaient ce que je regrette, ils seraient horrifiés.



J'ai sommeil. Ménage dans la dropbox, mails, j'ai sommeil, je finis mon thé, le linge est étendu. Je ne vais même pas avoir le courage de lire.