Un peu ahurie, trop de nostalgie, de culpabilité, de bonnes résolutions — pas assez de sommeil.
Paul est mort, C. est parti, je suis libre (le mot naturel serait "seule", mais il ne convient pas avec son aspect triste. Ce n'est pas triste, c'est dépouillé.) Impression d'espaces et de temps infinis.

Exposition Félix Nussbaum. Sobriété et dénument, et pourtant, une impression de richesse des tons, chaque couleur "pauvre" (beige, marron, brun, avec un petit carré de ciel bleu ou de torchon blanc ou de bandeau vert) travaillée dans son épaisseur. Est-ce par ce qu'il y a de très nombreux autoportraits qui vous regardent dans les yeux que l'on a l'impression que ce peintre vous parle? Il n'interroge pas, la toile est la réponse, il montre, il informe, parfois avec une imperceptible ironie qu'il est difficile d'attribuer à un point particulier du tableau (peut-être le pli de la bouche, l'ombre de barbe?). Ses tableaux sont des reportages intérieurs qui prévoient les massacres extérieurs (prévoient ou voient au loin). C'est sans concession: voilà. Voilà où nous en sommes. Dans la chambre sans meuble je peins des murs et ma tête et la fenêtre parce que je n'ai que ça. Et mes souvenirs du camp de Saint-Cyprien. Mais je peux aussi imaginer comment cela finira. Ou est en train de finir.

Il ne se trompait pas.

Je quitte le musée avec les Récits d'Ellis Island pour les photos. En 1976 ou 79 (je ne sais plus [1]), on pouvait rencontrer des gens qui étaient arrivés en Amérique avant la première guerre mondiale, avant la Révolution d'octobre, qui avaient connu les shelts inexorablement détruits. On pouvait marcher à côté de légendes vivantes, comme ces vieilles personnes aujourd'hui dans le métro de Berlin ou comme Svetlana Geier, des gens qui ne peuvent vous raconter leur histoire sans raconter une partie de l'histoire du XXe siècle.



Notes

[1] l'époque représentée dans Potiche. Je deviens de plus en plus sensible au fait que les époques ne se succèdent pas mais se chevauchent, et qu'il faut beaucoup d'attention pour se comprendre: plusieurs représentations du monde cohabitent sans arrêt autour de nous.