Le catéchisme est organisé ainsi dans notre ville : les enfants d'une même école et du même âge constitue un groupe (six à douze enfants); leurs parents à tour de rôle le reçoivent, tous les quinze jours, pour "animer une réunion", eux-mêmes ayant été préparés à cette "animation" par une réunion le soir au presbytère.

Les enfants sont donc ballotés d'un foyer à l'autre, expérimentant des leçons de catéchisme aux styles différents, en fonction de la foi et de l'instruction religieuse des parents qui les reçoivent. Cela dure cinq ans (CE2 à 5e), nous finissons (nous, les parents) par connaître les enfants de notre groupe, par établir des relations un peu particulières car nous abordons des sujets souvents personnels en essayant de bloquer le moins possible la parole (sans compter les "temps forts" où tous les enfants du même âge se trouvent rassemblés, et les "pélerinages", que j'appellerais plutôt "sorties", à Chartres ou Longpont ou Evry…)

Je profite de ces réunions pour expliquer tout ce que je peux en fonction des textes que nous lisons (ah oui, très peu de coloriage ou de découpage avec moi, je suis mal à l'aise avec ça), de la culture générale, en somme. Je dois être épouvantablement pénible, mais j'aime bien cela (pas être pénible, mais raconter).

Aujourd'hui j'ai montré un torchon en lin, rugueux, épais, découpé dans les draps de ma grand-mère (origine de la discussion: le saint Suaire (—Vous savez ce que c'est que du lin? les petites fleurs bleues, les «habits de drap» («quand vous lirez Balzac et Zola»), la soie, la laine, le coton arrivé en Europe que très récemment)); j'ai raconté l'astuce de Pénélope (origine: l'explication du mot linceul); j'ai expliqué ce qu'était un bœuf et le sort des mâles en agriculture et l'agressivité des mammifères non castrés (origine — Vous savez qui était Marie-Madeleine? — Jésus était son client? me répond Jérémy avec un sourire qui montre qu'il sait qu'il est en train de dire une petite provocation. (Où a-t-il entendu cela? En tout cas, comme d'hab quand il s'agit de sujets abordant de près ou de loin le sexe, je joue franc jeu, en me disant que c'est peut-être la seule fois où un adulte leur explique franchement, en quasi tête-à-tête, deux ou trois réalités.) — Possible, mais ça m'étonnerait. Il a dit quelque part dans les Evangiles que si on ne pouvait s'empêcher de faire l'amour il fallait se marier, mais que sinon il valait mieux vivre en eunuque volontaire. Et comme j'imagine que Jésus suivait les conseils qu'Il donnait… Vous savez ce que c'est qu'un eunuque? (Non.) Et un castrat? (Oui, vaguement, par rapport à la musique). — Et un bœuf? (silence autour de la table.) — Vous connaissez la différence entre un bœuf et un taureau? (Silence. Non, ils ne savent pas. Douze ans. Une de ces questions qui n'existent pas, que personne ne songe à poser. Mais je suis tout de même surprise. Je me lance dans une digression sur l'agriculture, en espérant qu'ils n'iront pas trop raconter ce que je fais durant les cours de catéchisme.))

J'aime bien la réaction des enfants, si généreux et si stricts, si moraux, en même temps. (Question: «qu'auriez-vous fait à la place du père du fils prodigue, lui auriez-vous donné sa part d'héritage?» Sondage autour de la table: la réponse unanime est non. J'ai envie de rire, ils argumentent, ils sont si sérieux, si pleins de bon sens. Ils m'impressionnent, déjà si jeunes, ils sont loin de la folie que suppose l'Evangile (mais d'une certaine façon ils ont raison, à l'usage cette folie ne donne pas d'excellents résultats…))

J'aurai animé deux à quatre réunions par an depuis 2000. La dernière a eu lieu aujourd'hui. Je suis un peu triste. J'aimais bien cela, il me semble qu'on leur explique si peu de choses, que le monde leur reste si étranger, qu'il y a tant de choses à partager.