Nous fêtons les soixante-dix ans de mon oncle (le frère de mon père). Avant le départ, je fais réviser l'arbre généalogique (j'ai une fille qui confond les deux (les quatre) côtés de la famille, ce qui met ma mère en transes, elle qui a une conception très possessive de la famille (tous les défauts génétiques viennent des autres branches que la sienne): donc je fais réviser pour éviter les incidents diplomatiques).

— A., la petite blonde ?
— Tu sais, des petites blondes, ce n'est pas ce qui va manquer.

Depuis la dernière fois que nous nous sommes vus, quatre enfants sont nés. Tous blonds. Les yeux bleus sont plus aléatoires.


Les souvenirs m'assaillent. J'ai été très malheureuse de quitter le Maroc à huit ans, et mes parents m'avaient promis que nous retournerions à Agadir aux grandes vacances suivantes. Nous nous mîmes en route... et nous nous arrêtâmes chez mon oncle, dans l'Aveyron.
Je n'ai jamais su si c'était prémédité, si l'on m'avait menti, en d'autres termes; ou si réellement mon père était trop las pour continuer jusqu'à Agadir.

J'errais dans la maison de mon oncle, en chantier, dont seul le rez-de-chaussée était habitable, avec ma tante si fantaisiste qui venait d'avoir un quatrième bébé, j'étais triste, je lisais ce qui me tombait sous la main, je ne sais plus comment je m'occupais, j'avais trois ans de plus que le plus âgé de mes cousins et c'était un monde, surtout que je lisais depuis longtemps.


Cette tante divorcée est de nouveau présente, à la mode de ces familles recomposées dans lesquelles les deuxièmes épouses acceptent les premières, ce que je n'ai jamais compris et ne comprendrai jamais, mais ce qui me réjouit et me console, car j'avais bien cru ne pas revoir, ne jamais revoir cette tante par alliance, puisque cette alliance était brisée.


Tandis que je discutais avec un cousin adepte de «Le passé est le passé», je pensais «Un homme qui dort tient en cercle autour de lui» et je prenais soudain conscience que je n'avais pas besoin, je n'avais jamais eu besoin, de dormir pour cela: tout (enfin, tout ce que je n'ai pas oublié) est toujours en cercle autour de moi, sans profondeur, immédiatement présent. J'ai toujours pensé qu'il en était ainsi pour chacun, et que cette affirmation de rejeter loin les souvenirs n'étaient qu'une pose ou un vœu pieux — mais finalement, peut-être pas. Comment savoir?