Lundi. Rendez-vous à 9h45 pour une visite de contrôle de mon doigt.
— Vous avez la radio?
— Euh non, je n'y ai pas pensé. (Mais de toute façon, on veut voir l'état du doigt maintenant, pas il y a deux semaines.)
— Alors on ne peut rien faire. Vous avez une voiture? (Non je n'en ai pas. H. m'a amenée. Mais de toute façon c'est stupide, je n'irai pas chercher cette radio.)
— Non. Et je ne vais pas chercher cette radio en RER.
— Alors vous pouvez repartir.
Je ne réagis pas beaucoup. Je ne dis rien, je dois commencer à m'en aller mentalement, mais je n'ai pas encore bougé. Je vais partir sans rien dire, sans prendre un autre rendez-vous, sans plaider, elle le sent, je crois. Elle reprend:
— Allez au service de radiologie pour qu'ils vous réimpriment un compte rendu. Droite, droite. (Ai-je pensé "Salope"? Je ne crois pas. J'aurais dû.)

Droite, droite. Trois secrétaires, une ligne de confidentialité, elles sont rapides et efficaces, ça se passe plutôt bien.
— Je viens chercher une copie du compte rendu pour mon doigt. Ça date du 23.
Mon nom, ma carte vitale…
— Mais il y a deux radios… Le pied aussi?
— Oui ça c'est le soir. Le doigt c'est le matin.
— Vous n'avez pas récupéré le pied. Et vous ne l'avez pas réglée. Je vais vous la faire régler.
Carte vitale, carte bleue, je récupère la radio de mon pied, le compte rendu de la radio de mon doigt. Je retourne au guichet de la "chirurgie des membres supérieurs".

— Très bien. Installez-vous, on va vous appeler.
Il est dix heures vingt.
Je lis Vigiles.
Plus tard (un peu plus tard), un homme en blouse blanche vient me chercher (il avait déjà passé la tête plusieurs fois dans la salle d'attente pour demander: «Des points de suture à enlever? Des pansements à refaire?») et m'installe dans un petit bureau. Il y a une grande peinture de voiture de course des années 20 au mur. J'étudie les posters, l'inflammation du canal carpien, c'est très intéressant, en anglais.
Je reprends mon livre.

Plus tard je passe la tête par la porte: m'a-t-on oubliée? (Non, ce n'est pas de l'impatience. je n'ai pas raconté ici que dans la soirée du lundi 23, les urgences m'ont oubliée: j'ai passé une radio du pied, puis ils ont littéralement oublié de m'appeler pour la suite. Je ne disais rien, persuadée qu'il ne fallait pas déranger des gens en train de traiter la souffrance humaine, qu'il y avait des cas plus grave que le mien… Quand nous nous sommes renseignés à minuit, il est apparu que j'avais été oubliée…)

Au moment où je passe la tête, une jeune doctoresse arrive, pimpante et chaleureuse (non, l'homme en blanc était l'infirmier, pas le médecin)).
— J'ai cru qu'on m'avait oubliée.
— Non, je suis juste en retard.
Je lui tends le compte rendu.
— Vous avez fait une radio aujourd'hui?
— Non.
— Il nous faut une radio.
Elle se lève, je la suis, elle va voir la secrétaire: «Il me faut une radio»; la secrétaire : «Allez passer une radio, puis revenez». (Toujours pas pensé «connasse», juste «C'est bien ce qu'il me semblait, aussi.» J'ai été élevée dans le respect du corps médical, des gens qui se dévouent pour les autres…)

Droite, droite, les secrétaires, je viens faire une radio de la main, allez attendre au fond, on va vous appeler.
Je lis Vigiles.
Peu à peu les sièges se vident, chacun passe. Je reste seule. De nouveau, m'a-t-on oubliée? Comment se fait-il qu'il n'y ait personne d'arrivée après moi?
Non, mon tour vient.

Le technicien radiologue est en blouse verte. Il est asiatique, barbe pointue, et je ne serais pas surprise qu'il eut une natte (il n'en avait sans doute pas).
— J'enlève mon attelle? (Je sais qu'on va me la changer, de toute façon. Je n'attends que ça, d'ailleurs: un pansement propre.)
Il prend une voix doucereuse, comme s'il parlait à un enfant de cinq ans qui comprend mal. Ma parole, il se moque de moi:
— Non, les scientifiques ont réfléchi, l'aluminium est un métal, mais ils ont mis au point un métal qui laisse passer les rayons, c'est formidable, non?
Je me fige. Pourquoi ai-je parlé? Je suis muette, immobile, je ne réagis pas. Suis-je condamnée aux cons en ce moment? Karma? Conjonction astrale? Ou ils sont tous comme ça et d'habitude je leur échappe, miraculeusement?
— Ça n'a pas l'air de vous faire plaisir.
Visage immobile. Main immobile. Je ne réagis pas. Je place ma main en suivant ses ordres.
— Voilà. Retournez devant les secrétaires pour attendre le compte rendu.
— Merci.

Je retourne en salle d'attente.
J'attends.
Je lis Vigiles.
Radio, compte rendu, carte vitale, carte bleue. Il est midi moins le quart. Je regarde le compte rendu, sur lequel il est très exactement écrit: «radio de contrôle».

Je retourne au premier guichet. La secrétaire a changé. La moutarde commence à me monter au nez. Je tends ma radio:
— A quoi cela sert-il de donner rendez-vous à 9h45 si c'est pour n'avoir toujours vu personne à midi? J'ai prévu de travailler cet après-midi, j'ai des rendez-vous à la Défense.
— Je sais Madame, il nous fallait une radio. Vous serez la personne suivante.

Je lis Vigiles, mais c'est effectivement très vite mon tour.

La doctoresse regarde la radio, commente:
— Ils n'ont pas enlevé l'attelle?
— Non. Je l'ai proposé au technicien mais il a refusé. Il m'a donné des explications sur l'aluminium comme si j'avais cinq ans.
— Ils ne prennent aucune initiative.
Peut-être que ma remarque l'a amenée à penser que j'étais humaine, qu'on pouvait me parler. Elle m'explique ce qu'on ne m'avait pas expliqué, il s'agit moins d'une fracture que d'une entorse, une entorse si brutale que le tendon a arraché un morceau d'os. Elle a beaucoup de charisme et un beau sourire.
Elle enlève l'attelle. Le sparadrah colle, c'est difficile.
— Je peux le faire si vous voulez.
— Pourquoi, vous n'avez pas confiance?
La réponse m'atterre. A quoi est-elle confrontée au quotidien, pour me répondre ainsi alors que je propose de l'aide?
— Non, c'était juste pour aider.

Le doigt est très raide, j'arrive à peine à le plier. Très enflé, aussi.
— On va faire un pansement en se servant du majeur comme attelle. On va libérer l'articulation pour que vous puissiez plier le doigt.
— C'est amusant, quand on m'a mis l'attelle, on m'a expliqué qu'il fallait tendre le doigt pour qu'il ne reste pas plié, et maintenant c'est l'inverse, je n'arrive plus à le plier.
— Ne vous inquiétez pas, ça va revenir. Il est beaucoup plus facile de rendre souple un doigt gardé droit que de remettre droit un doigt gardé plié…
— Oh mais je vous crois. C'est très intéressant, quand on pense au temps qu'il a dû falloir pour mettre au point la méthode… (Je songe à ceux qui ont gardé des doigts pliés, et ceux qui ont gardé des doigts droits, avant qu'on ait compris le bon timing… Elle sourit, elle a l'air contente que ça m'intéresse.)
— Je vous prescris de l'élastoplaste 3 cm. (Suivent des instructions). Vous gardez le doigt attaché un mois, nuit et jour. Et quand vous reviendrez, faites une radio sans pansement.

Elle m'accompagne au secrétariat. Rendez-vous le 6 juin à 9h45.
Je paie. Carte vitale, carte bleue.
— Et la radio?
— Il vous faut une radio?
— Oui.
— Eh bien, allez prendre rendez-vous pour la radio.

Droite, droite. Rendez-vous à 8h45 le 6.

Je sors. Je prendrai le RER de 13h à Boussy-Saint-Antoine, un peu déprimée par le fait qu'il n'y ait qu'à partir du moment où j'ai parlé sèchement à la secrétaire que j'ai obtenu un peu de considération.
Je hais les gens qui ont besoin d'être maltraités pour devenir polis et efficaces.