Hier.

Pour évacuer un peu de ma frustration et de ma violence, je regarde La guerre des Roses, l'un des films les plus violents que je connaisse, une histoire de divorce qui n'est pas une bluette sentimentale, malgré un début trompeur, très "Harlequin". C'est un vieux film, je spoile.
Elle s'aperçoit un jour que son mari lui téléphone des urgences en se pensant à l'article de la mort que cette annonce ne la plonge pas dans la tristesse mais dans le soulagement (ce qui est très violent, certes, mais franc, objectif). Elle décide de divorcer.
Le mari profondément blessé refuse de quitter la maison. Il en obtient le droit grâce à une loi qu'exhume son avocat. Suit une guerre des tranchées dans les pièces et les couloirs.
Chacun rivalise de mesquineries et d'humiliations pour décourager l'autre, mais avouons que la femme est bien plus salope que le mari.
Concernant le mari, ce qui est parfaitement mis en scène, c'est sa radicale incapacité à admettre que sa femme ne veut plus de lui: c'est impossible, au fond d'elle elle doit l'aimer encore, cette conviction guide tous ses actes, il ne peut admettre qu'elle veuille être seule, tranquille, débarrassée de sa présence.

Aujourd'hui.

Je vais voir Les femmes du bus 678 et je retrouve cette même lutte pour avoir la paix. Laissez-nous tranquilles, laissez-nous vivre, oubliez-nous.
Nous sommes en Egypte et le contexte est évidemment très différent, beaucoup plus physique, brutal et généralisé à la société entière (alors que La guerre des Roses illustre un cas particulier).
Trois femmes, une pauvre avec enfants, une mariée d'une famille aisée et une fiancée d'une famille plutôt aisée également, subissent ou ont subi un harcèlement sexuel ou des violences sexuelles (dans le bus, sur un stade de foot, dans la rue). Il s'agit pour elles de savoir comment se défendre alors que personne n'est prêt à les aider, que leur famille fait pression pour éviter le scandale.
(En voyant ces trois femmes, je pense à Marx et à la lutte des classes, ou plutôt au Tiers-état: comment une population aussi hétérogène, avec des contraintes et des ressources si différentes, peut-elle faire front commun? Scène dans laquelle la plus pauvre, voilée, accuse la plus riche d'être à l'origine, par sa tenue libre et ses cheveux détachés, du harcèlement universel des hommes.)
Ici, comme dans Il était une fois en Anatolie et dans une moindre mesure dans Une séparation, c'est un policier qui a le rôle du sage, celui qui comprend, se tait, mais essaie de protéger qui doit l'être et de favoriser la justice et la droiture.

Je reste émerveillée par la façon dont ces films du Proche ou Moyen-Orient (Une séparation, Les femmes du bus 678) mettent en scène les rapports homme-femme, la façon dont ils comprennent et montrent ces femmes lassées qui un jour disent non, à la présence, aux rapports sexuels, à la pression continuelle. Elles partent ou elles restent, mais elles disent non. Elles sont entendues ou pas, comprises ou pas (plutôt pas, sauf par une poignée d'hommes attentifs; c'est bien l'attention à l'autre qui est au centre du débat (dans La guerre des Roses, le manque d'attention du mari avant le divorce est caricatural)), mais elles disent non. Elles veulent être tranquilles, ne pas être dérangées dans leur corps, ne pas être surprises par l'intrusion d'un autre corps dans ou sur leur corps (car il s'agit tout simplement de cela: de la surprise d'une main étrangère ou d'une main non désirée qui se pose sur vous: insupportable, comment ne pas le comprendre?)

En Occident, ou tout au moins en France, nous sommes persuadés d'être loin de ce schéma. Or c'est faux. L'idée inconsciente de la plupart des hommes, c'est que les femmes ont beau proclamer leur désir d'indépendance, elles ne souhaitent que l'homme (cf. Rousseau et son idée d'une femme soumise à un désir irrépressible). J'en veux à toute la peinture occidentale, tous les Fragonard et tous les Watteau, à toutes les Pompadour et toutes les maîtresses royales (le tableau Mademoiselle O'Murphy me dégoûte, mais je n'ai pas tout à fait le droit de le dire: je vais faire rire, je le sais; il faut que je sois prête à supporter ces rires et ces airs supérieurs sans rien avoir à répondre: si ce que je dis n'est pas compris, qu'ajouter?), qui sont peut-être à l'origine de cette idée culturelle: la femme au fond d'elle-même, même quand elle ne le sait pas, est toujours consentante, comme Mme Rose est dans l'esprit de son mari forcément amoureuse, même inconsciemment.
C'est faux.