Nous rentrons à deux voitures. H. prend l'autoroute, je lui annonce que je vais passer par Chambord, prendre l'autoroute à Mer et sortir à Artenay pour remonter par la N20.
Mais arrivée à Mer, je vois le panneau Talcy. La tentation est trop forte, il y a longtemps que je voudrais voir ce château, je me déroute.

Grande déception. Exposition "Dames blanches pour châteaux noirs" (je devrais peut-être leur envoyer un exemplaire de L'ABC du gothique), toutes les pièces sont plongées dans l'obscurité, avec des lanternes magiques, des bandes son sinistres, des projections angoissantes. C'est un joli château de pierres grises, très simple, avec de belles salles, des tapisseries, du mobilier, des tableaux: en temps ordinaire, il doit être facile de rêver ici. Mais pas aujourd'hui: on ne voit rien mais on entend beaucoup, impossible d'y échapper. Je suis très déçue. Je pense à l'administration sage de Chenonceau.

Je remonte sur l'autoroute à Mer. Je manque d'avoir deux accidents, le premier lors d'un ralentissement brutal sur l'autoroute (puis trois quart d'heure pour faire les six kilomètres qui me permettent de sortir à Orléans Nord: pour la peine je prends la route de Saint-Lyé-la-Forêt plutôt que la N20. Cela fait un moment que je ne l'avais pas empruntée et je constate une fois plus qu'il ne faut jamais quitter le réel des yeux: dès qu'on a le dos tourné, il change. Les ronds-points se sont épanouis, un pont passe au-dessus d'une autoroute (j'ai été un instant désorientée, ne comprenant pas comment je pouvais passer au-dessus de la A10 à cet endroit: ce n'était pas la A10); le second avec une camionnette de gendarmes en sortant d'une déviation pour travaux à Méréville (j'étais en train de vérifier la direction qu'indiquait le panneau de déviation, et au moment de repartir, je vois une masse sombre devant la voiture: je pile, c'était la camionnette venant de ma droite, qui a pilé aussi. Les gendarmes m'ont regardée, je les ai regardés (mais pas très fixement, juste un peu blanche (ne jamais regarder un gendarme dans les yeux, il vous demande aussitôt vos papiers (pour une fois tout était en règle contrôle technique compris, mais je n'ai aucune idée d'où est la carte grise))), quelques secondes, temps suspendu, que va-t-il se passer, (et dans ma tête le souvenir qu'il ne faut pas avoir d'accident avec ou contre "l'Etat", c'est infernal au niveau assurance (mais là pas de problème puisque j'aurais été indiscutablement en tort)) ils sont repartis.

(Et toujours cette façon de remonter le temps, quelle précision pour arriver à cet emboutissage manqué, et si je n'avais pas visité le château, et si je n'étais pas sortie à Orléans Nord, et si je ne m'étais pas perdue dans Saran… Quelques secondes plus tôt ou plus tard… Et que ce soit le cas de chaque seconde… Ma raison ne suit pas.)