Musée de la Confédération

H. est gêné par le caractère partisan de ce musée qui est une ode à la gloire de l'armée conférée, je suis émue par le soin quasi-religieux avec lequel nous sont présentés l'uniforme de Lee, son lit de camp, des objets ayant appartenu aux différents généraux (j'ai oublié tous les noms), le sabot d'un cheval blanc légendaire pour les faits accomplis (mais lesquels? J'ai oublié aussi): reliques amoureusement conservées, nostalgie, robes des dames, vêtements de veuvage, famine, incendie… Comment ne pas penser à Autant en emporte le vent?

Le soir Chip nous dira sa fierté d'homme du sud, «Je ne peux que condamner l'esclavage, et je ne peux pas regretter cela, mais je regrette ces hommes, leur élégance morale, leurs façons de vivre…»
Nouveaux riches contre aristocratie de vieille lignée, nord contre sud, bourgeoisie contre noblesse, le capitaine de Borodino contre Saint Loup.



Musée Edgar Poe

Le plus grand musée Poe, annonce fièrement le tract. Si c'est réellement le cas, c'est effrayant: une petite pièce plus des objets. Il faut dire que Poe bougeait beaucoup, plus encore que Joyce: neuf lieux d'habitation en treize ans de présence à Richmond.
J'apprends que Poe s'était enrôlé comme soldat, et qu'il avait acquis en deux ans le grade de sergent-major, grade le plus haut qu'un engagé pouvait atteindre, généralement en dix-sept ans. Devant ce succès, Poe s'inscrit à West Point, mais n'ayant pas les moyens financiers d'y rester, il s'en fit renvoyer.
Je ne savais pas qu'il avait cette fibre militaire.

Il épousa sa femme quand elle avait treize ans, elle mourut à vingt-quatre (sa mère et son frère sont morts à cet âge), il mourut deux ans après, en 1849 (né en 1809: je me souviens que Poe est l'un des exemples donnés par Humbert Humbert, avec celui de Byron. Et puis bien sûr Annabelle Lee).

Poe n'a pas habité là mais dans la mesure du possible les meubles présentés l'ont connu. Tout est rassemblé là aussi avec un soin infini, l'histoire des objets nous est racontée (ainsi nous voyons sa canne parce que Poe l'a laissée chez un ami quelques jours avant sa mort, emportant par erreur celle de l'ami qui la conserva à titre de souvenir après la mort de Poe. D'héritage en héritage, elle parvint à un descendant qui en fit don au musée ou à la fondation). (Malheureusement les photos sont interdites à l'intérieur (parce que le musée ne possède pas tous les copyright, nous explique-t-on) et il n'y a pas de carte postale disponible pour compenser cette interdiction (ce qui est pour moi incompréhensible: à quoi bon interdire les photos si ce n'est dans le but d'en retirer quelque argent?)

On nous informe que le mur du jardin contient des briques du bâtiment qui abritait le journal où travailla Poe, que les tessons de verre en haut du mur reproduisent un dispositif décrit dans William Wilson… (Photos ici) Là encore, une disposition de l'ordre du sentiment religieux est à l'œuvre. Au total, c'est un minuscule musée à visiter pour le soin infini que l'on sent mis à toute chose, mais aussi parce qu'il donne le sentiment que la vie de Poe était moins lugubre qu'on tend à se l'imaginer (il faut se souvenir que Poe est l'inventeur de la mise en scène de sa propre vie à des fins de promotion littéraire), entre sa femme vive et gaie, ses collègues journalistes, ses années militaires.



Soirée

Le soir repas de fête avec Ruth, Lucy et leurs maris. Chip m'impressionne par son calme et sa gentillesse. Nous rions beaucoup et racontons beaucoup d'anecdotes. Dans les années 90, nous avions hébergé Ruth et Chip chez ma sœur à Paris et ils ont conservé un souvenir émerveillé de... un yaourt au citron laissé dans le frigo par ma sœur!
Jeux de mots, prononciation, souvent lorsque se présente un problème je tends à ma précipiter sur mon ordinateur. Je suis tout de même très accro.

Quand j'avais quitté Ruth en juillet 1984, elle avait pour projet d'apprendre le russe, parce que, m'avait-elle dit, elle voulait utiliser un autre alphabet que le nôtre. (Elle mettait ce désir sur le compte d'être née au Japon).
Elle l'a fait, et visiblement a passé plusieurs semaines en URSS (à l'époque) pour parfaire son russe.

Elle nous raconte un souvenir extraordinaire: elle était à Moscou lors du coup d'Etat contre Eltsine en août 1991. Les rues étaient bordées de chars, son avion partait le jour même, elle a pris un taxi avec ses amies, elle pensait «nous n'y arriverons pas, nous allons rester ici», le taxi roulait, tout était silencieux, les chars bordaient la route, ils sont arrivés à l'aéroport.
— Bien sûr, nous n'avions pas le droit de prendre les chars en photo. J'ai fait semblant de pendre une amie et Natalia en photo, je leur faisais signe de la main de se serrer, en fait je cadrais le char derrière elle.

Et je pensais qu'elle était follement téméraire, que c'était un coup à finir dans les geôles soviétiques.