Il y a ceux qui vous lisent. Vous les rencontrez, vous ne les connaissez pas, ou peu, et ils vous posent des questions sur des sujets dont vous ne leur avez jamais parlé (et pour cause), et soudain la lumière se fait en vous : « Mais ils me lisent ! Vraiment ! avec attention ! et ça les intéresse suffisamment pour qu'ils s'en souviennent ! »
Et là, vous vous sentez infiniment touchée, reconnaissante, (flattée) et embarrassée : vite, vite, vous rembobinez dans votre mémoire tout ce que vous avez écrit pour tenter d'estimer tout ce que vous n'auriez jamais confié avant des mois à un inconnu, parce que vous n'avez pas été élevée comme ça… et vous abandonnez, trop de mots, trop de billets, trop de sincérité, ce mot dont vous avez appris à vous méfier avec RC et Nabokov et contre ou avec lequel il faut vous battre certains soirs.

Il y a ceux que vous connaissez un peu plus, que vous croisez par hasard et qui vous pose une question qui fait qu'il faut bien vous rendre à l'évidence: ils ne vous lisent pas, malgré leur proclamation d'attention. Mais ceux-là, vous les fréquentez depuis si longtemps que, même si le pincement de déception ne s'efface jamais tout à fait, ils vous ont rendue philosophe, ils vous ont appris à sourire de vous-même, de votre prétention, de votre besoin d'attention; et en fait, c'est à les fréquenter que vous avez oublié que certains vous lisaient ou vous liront, cf la première catégorie.

Il y a les autres, ceux qui ne connaissent pas ce blog, à qui vous le donneriez bien à certaines heures, par affection ou par flemme (la paresse de leur raconter votre vie), et vous résistez, parce qu'en vérité, vous avez aussi peur qu'ils fassent partie de la première catégorie (« je ne vais pas raconter ça, il y a X qui me lit ») que de la deuxième (« c'était bien la peine que je raconte cela, X ne l'a pas lu »).