Je me souviens de la première fois que j'ai mis les pieds à la bibliothèque de Versailles. J'étais en hypokhâgne, je venais chercher des livres pour la première dissertation de philo de l'année («Pour philosopher, faut-il lire les philosophes?»). Je ne savais pas ce qu'était l'hypokhâgne, je ne savais pas qu'elle préparait un concours, au bout d'une semaine j'avais compris qu'il n'y avait plus de math ni de physique du tout, je venais de passer une année très dure en terminale C avec une prof de physique qui me méprisait parce que j'avais eu une bonne note au bac de français (je vous jure que c'est vrai. Si j'avais pu prévoir cela, j'aurais menti sur la-dite note) et une stagiaire de math qui ne m'avait donné aucune chance (avec le prof titulaire je crois que cela se serait passé différemment), dans un état dépressif latent non diagnostiqué (mais avec 8/5 de tension en février (ce qui n'a amené strictement aucune réaction de la part de ma famille. Je me souviens du médecin qui a repris ma tension trois fois, stupéfait. Mais ce n'était pas notre médecin de famille, il était stomatologue, il n'avait rien fait ou dit)), nous avions rempli tous les dossiers possibles pour que je n'aille pas à la fac et j'étais prise en hypokhâgne, à trois semaines du bac les cours avaient cessé pour permettre les révisions, j'avais alors descendu systématiquement toutes les annales disponibles, stupéfaite de découvrir à quel point c'était facile et comme j'aurais pu avoir une année agréable si je m'en étais rendue compte plus tôt (mais le propre d'un dépression, c'est bien de ne plus permettre ce genre de lucidité), j'arrivais à Versailles en hypokhâgne et c'était un autre monde.

J'ai ouvert la porte de la bibliothèque de Versailles, j'ai avancé de quelques pas sur le parquet dans la salle dorée, et debout à la hauteur de la table des revues, je me suis mise à pleurer.