Toujours en philo, au lycée, en Deug, au centre Sèvres, Descartes est le rocher, le point de départ, celui que l'on ne contourne pas mais auquel on s'arrime (en philosophie antique il n'y a pas une telle unanimité : hésitation entre Platon et Aristote).

Il reste qu'en lisant les Méditations métaphysiques (je doute de tout, mais pas de moi qui doute, car même si je suis trompé par un mauvais génie, il faut bien qu'il y ait quelqu'un à tromper, etc (j'en suis à la troisième)), la question qui me taraude à chaque fois que je recommence la philosophie revient en force: pourquoi les hommes philosophent-ils? Pour accéder à la vérité? Mais à quoi bon une vérité qui n'accroît ni le bonheur (ce qui me rend heureux) ni la bonté (le bien que j'apporte autour de moi)?

Et puis cette "vérité" me paraît manquer d'envergure. Jamais il ne me serait venu à l'idée de dire que deux plus trois fait cinq est "vrai". Je dis: «c'est juste». Juste: es stimmt, cela résiste à la vérification (on laisse ici de côté l'aspect conventionnel des mots: ce qu'on appelle deux et ce qu'on appelle trois). Ce qui valide que ce soit juste, exact, c'est que lorsque j'utilise ce résultat comme fondement d'autres raisonnements, j'arrive de proche en proche à quelque chose qui coïncide avec la réalité: si deux et trois ne faisait pas cinq, les Portugais n'auraient pas pu cartographier le monde et nous n'aurions pas atteint la lune, nous serions passés à côté.
C'est juste. De là à dire que c'est vrai… Ce n'est pas à ce genre de domaine que j'applique le mot de vrai. (Ici il faudrait que je réfléchisse. J'essaie. Processing.)

J'ai découvert récemment quelque chose qui doit paraître évident à tout le monde, je suppose: qu'à un mot correspond plusieurs contraires, que le contraire du noir n'est pas le blanc mais toutes les autres couleurs. Quelle est le contraire de la vérité? l'erreur, le mensonge, la fiction? l'erreur manque la vérité de façon involontaire, c'est sans doute le plus difficile à déceler et corriger; le mensonge sait où se trouve la vérité, mais veut tromper: le pire d'un point de vue moral, mais moins grave que l'erreur du point de vue de la Vérité; quant à la fiction, elle est ailleurs, d'un certain point de vue, elle est toujours vraie, une licorne n'est pas fausse, ce n'est ni un mensonge, ni une erreur, simplement elle n'existe pas, vous n'en rencontrerez pas (ou vous pouvez comme Russel soutenir que que jusqu'ici nous n'en avons pas rencontrée), mais cela n'a aucune importance tant que vous n'utilisez pas la licorne comme fondement concret de vos actions quotidiennes (non pas l'idée de la licorne pour vous donner du cœur à l'ouvrage, mais le besoin de crins de licorne pour jouer du violon).

Je me souviens avoir été déçue en commençant à lire Le discours de la méthode, quand j'ai découvert que ce qui me paraissait le plus intéressant, le plus digne d'intérêt, c'est-à-dire la mise au jour des principes qui permettraient de conduire sa vie droitement en toute occasion, avait été repoussé à plus tard: trop difficile, je laisse tomber pour l'instant, dit Descartes qui conseille de se conduire comme tout le monde et de ne pas faire de vagues (ce qui n'empêche pas d'avoir ses doutes): quelle déception. C'est cette partie-là qui m'intéressait.
Peut-être est-ce celle-ci qu'il faut appeler, ou qui s'appelle, "sagesse".

Donc question suivante: différence entre philosophie et sagesse? (non, les philosophes ne sont pas sages (ici pensée pour La philosophie comme manière de vivre: cela a sans doute été une ambition au début), du moins pas tous, du moins l'un n'implique pas l'autre: cela peut se trouver, mais il n'y a pas de lien de causalité entre l'un et l'autre, philosopher ne rend pas sage, c'est-à-dire apte à vivre sagement, heureux (pour soi) et bon (pour les autres).)
Alors, pourquoi les hommes s'obstinent-ils à philosopher?