Je vois Hélène à midi, que j'ai rencontrée en Grèce l'été dernier. Je suis souvent surprise du miroir que me tendent les gens: elle se souvient que la première fois que je lui ai parlé, j'ai employé le mot "substrat". Mais dans quel contexte ai-je dit ça, et pourquoi s'en souvient-elle?

— Et ton mari, il est content d'aller en Grèce cet été?
Elle me prend par surprise:
— Euh… je ne sais pas… (J'essaie de dire quelque chose de juste, qui corresponde à ce que je ressens.) Non, je ne sais pas vraiment… Au bout de vingt-six ans, j'ai l'impression de savoir de moins en moins comment il va réagir…
Elle se met à rire de bon cœur.
— Mais pourquoi tu ris?
— C'est tellement rare ta réponse. Les gens veulent toujours avoir une réponse catégorique… Et puis (elle rit de plus belle), rajoute vingt ans, et je ne suis pas plus avancée avec le mien…

Nous nous regardons, et nous rions de bon cœur, stupéfaites par la complexité de vivre ensemble, et que ce soit possible malgré tout, et d'avoir trouvé une occasion de le dire à quelqu'un qui sache de quoi nous parlons.