Je me lève et m'habille comme pour aller bosser: A. commence ce matin un boulot d'été dans mon entreprise et je l'accompagne jusqu'à la Défense pour la rassurer (et lui expliquer les cinq manières de s'en échapper en cas de problème de transport (ligne 1, ligne A, bus 73, train vers Saint Lazare, tram vers n'importe où pour trouver un métro (je ne lui parle pas du Vélib, elle ne maîtrise pas assez Paris))). Cela me fait un prétexte pour passer en bibliothèque.

A la recherche de Vivian Maier dont j'ai entendu parler un matin à la radio (j'aime les documentaires). Les premières photos coupent le souffle, la jeunesse de l'inventeur fait plaisir, je remarque qu'il s'agit encore de ces hasards qui laissent une place à l'expérience: ce jeune homme avait l'habitude des brocantes et de l'évaluation du bric-à-brac, un autre n'aurait peut-être pas compris la valeur de ce qu'il voyait ou se serait peut-être découragé devant l'énormité de la tâche. Tandis que lui ne recule devant rien: téléphoner à des numéros de téléphone incomplets en essayant tous les indicatifs de la ville de Chicago, passer des nuits sur internet à tenter de reconnaître un clocher de village photographié cinquante ans avant… Ce jeune homme est attachant. Me fait sourire sa déception que les photos ne soient pas acceptées par les musées, "l'institution", comme il dit. Il n'a pas compris que les musées ne font qu'entériner l'engouement du public et la reconnaissance des collectionneurs. On ne commence pas dans un musée, on finit dans un musée.
Je parle beaucoup de John Maloof parce que je veux pas parler de Vivian Maier, je ne veux pas spoiler. Son look me rappelle un peu Simone Weil, sa personnalité un peu Annemarie Schwarzenbach (par association très libre). Allez voir le film. J'en suis ressortie le cœur déchiré, un peu déchiré, doucement déchiré, en sachant d'une certaine manière que c'était inéluctable: une vie de solitude et de silence qui se termine dans la solitude et le silence — même si à soixante-dix ou quatre-vingts ans elle l'a peut-être regretté. Fallait-il, faut-il exposer ses photos qu'elle n'a jamais montrées? c'est la question lancinante que se pose John Maloof, et peut-être n'a-t-il tourné ce film pour y trouver une réponse et apaiser sa conscience.

Je déjeune en terrasse au café Beaubourg — j'abandonne le Pouy sur mon siège — un Red Lady, du thon pour le comparer à celui de Dimitri, un autre Red Lady, et c'est un peu ivre que je rejoins un vélib pour entamer ma tournée des bibliothèques: d'abord l'ICP qui ferme pour deux semaines.





Je prends tous les livres disponibles (visiblement un autre étudiant a fait une razzia sur la bibliographie. Il faudrait aller rue Cassettes, mais je ne suis pas sûre d'avoir le droit d'emprunter à la bibliothèque de droit canonique) plus une nouveauté, Si j'avais su de Stanley Cavell après l'avoir feuilleté (je laisse tomber les Duhem sur la science grecque (pour A) mais je reprends l'Auguste Diès Autour de Platon qu'il faudra que j'achète un jour tant je l'aime. J'emprunte des Max Weber, ils ne sont pas sur la bibliographie de l'année prochaine, mais je sais par expérience qu'il vaut mieux revenir aux sources (lire Saussure, urgent!), et comment faire de la sociologie sans lire Weber? Plus de place pour le Löwith sur Weber, mais tant pis, je dois de toute façon passer à Melville pour Le Diable par la queue recommandé par Laurent. (Löwith vulgarise à mon niveau, il m'aide à ne pas avoir peur).





Je me rends compte que l'un des livres que je veux est ici en réserve, alors qu'il est en accès libre à Buffon où je dois passer prendre un livre que j'ai fait venir de la réserve centrale. Finalement j'aurais pu m'abstenir de venir ici, je repars avec le DVD et le Löwith, les deux n'étaient pas si urgents.
Il fait très lourd et très chaud, c'est assez désagréable.





Rue Buffon je prends les livres qui me manquent. En cherchant autre chose dans les rayons (je clopine, il fait chaud, je commence à avoir sérieusement mal au pied dans mes chaussures à talons pas tout à fait prévues pour ça) je tombe sur Le Savoir grec (dictionnaire critique) de Jacques Brunschwig, qui devrait convenir pour A. qui cherche des informations sur la science antique. J'échange des sms avec H. qui me propose de voir un film. Je lui dis de choisir ce qu'il veut en suggérant malgré tout Vivian Maier sans lui dire que je viens de le voir. En enregistrant les livres pour le prêt, je m'aperçois que j'ai exagéré la contenance de mon sac et que je vais avoir un problème, ce qui se confirme quand j'arrive devant un vélib: impossible de tout faire tenir dans le panier du vélo. Je finis par y déposer directement le Cavell, le dictionnaire et un troisième volume dans le panier et garde mon sac à la main. Le tout est assez lourd, et ajouté aux talons, compose un équipage malhabile et instable. H. choisit Vivian Maier, il m'attend au Bert's des Halles.

Je suis la Seine, et en passant devant la rampe de la Bastille, je ne résiste pas à la tentation de descendre au bord de l'eau: pour une fois que j'ai l'occasion de faire le trajet dans ce sens-là, et de jour, je vais pouvoir déterminer à quel endroit je peux descendre sur les berges pour y rouler le plus possible quand je rejoins la gare de Lyon.
Foule et pavés. Comme je le craignais, je me heurte à un escalier et je dois faire demi-tour. (Je sais maintenant qu'il faut descendre à peu près en face de la rue de Pontoise, au niveau de la pointe de l'île de la Cité).





Je gare mon vélib près de la Bourse (pas de place plus près), m'aperçois avec horreur que les secousses ont beaucoup abîmé la couverture du Cavell qui était tout neuf (c'est le défaut des vélibs, l'acier des paniers blesse le cuir des sacs (j'enveloppe mon cartable dans un tissu quand je prends un vélib. Je ne me suis pas méfiée pour des livres. Zut et zut.)), descends péniblement dans le cœur des Halles (tous les escaliers mécaniques sont arrêtés). En me voyant arriver boîtante les bras chargés de livres, les yeux de H. s'arrondissent, il rit, «je savais que cela se terminerait comme ça, c'est pour ça que je suis venu en voiture, pour te ramener. Mais tout de même, en vélib, tu es folle! Tout ça pour lire le quart du premier!» (je suis attristée qu'il ait sans doute raison) et me prend tous les livres pour les porter dans la voiture. Je bois une demi-Badoit en l'attendant. Je suis épuisée, et surtout très ennuyée pour le Cavell.

Et donc A la recherche de Vivian Maier une deuxième fois. (Ne faudrait-il pas traduire "Enquête sur Vivian Maier"? "Finding", c'est déjà avoir trouvé, "à la recherche" n'est-ce pas plutôt "looking for"?)


La liste des livres :
- L'Idiot (livre en cours)
- Pape François, La joie de l'Evangile. Trois cents pages, quand même. Moi qui avais espéré un livre court…
- Auguste Diès, Autour de Platon. C'est la troisième fois que je l'emprunte. Un jour je le finirai. Mais je l'aime.
- Max Weber, Le judaïsme antique et Sociologie de la religion. J'aurais peut-être dû commencer avec le protestantisme. Tant pis, trop tard.
- Stanley Cavell, Si j'avais su
- Karl Löwith, Marx Weber et Karl Marx
- Danièle Hervieu-Léger, Catholicisme, la fin d'un monde. En le feuilletant, je me demande s'il ne faudrait pas lui opposer Le Mystère français de Todd et Le Bras.
- Paul Beauchamp, L'un et l'autre Testament, tome 2. J'ai lu le premier, très péniblement, l'été dernier. J'espère que la lecture de celui-ci sera plus rapide.
- Que sais-je?, Dominique Le Tourneau, Le droit canonique
- André Vauchez, La Spiritualité du Moyen Âge occidental. Ouf c'est petit. Points Seuil.
- Geoffrey Lloyd et Jacques Brunschwig, le Savoir grec. (Pour A.)