Les études de théologie que je suis étant réservées à des adultes ayant une vie professionnelle, elles prévoient pour nous aider à reprendre un rythme estudiantin des "tuteurs", des personnes attribuées à chacun de nous et destinées à nous aider dans la méthode et, tout au moins au début, à vérifier que nous lisons assez et que nous lisons bien (que nous savons lire, prendre des notes, comprendre des structures (à vrai dire, je suis de moins en moins sûre du dernier point. Cette année est une année de doute, je ne comprends pas, je ne saisis pas, je ne vais pas y arriver, etc (ne pas penser et s'obstiner, politique du bœuf de labour, jusqu'à ce que tout le champ y passe (parenthèse hors sujet)))).

Les deux tuteurs que j'ai eus jusqu'ici exerçaient en dilettante. J'arrivais avec une liste de livres lus, mon répertoire thématique Clairefontaine de citations et nous discutions agréablement de choses et d'autres. Les seuls conseils que j'ai eus ont été, du premier, de dater mes lectures, du second, de lire Beauchamp. Tout cela n'était pas très utile mais sympathique, surtout que je recueillais de fort bonnes notes en fin d'année.

Cette année, et pour les quatre années qui restent, m'a été attribuée une femme austère à la réputation effrayante, ayant fait sa thèse de doctorat sur la mystique de St Jean de la Croix. Lundi soir j'ai vu arriver dans ma boîte mail la demande de lui envoyer "l'ébauche du travail que j'allais lui présenter mercredi" (aujourd'hui) (nous étions convenus que cette séance de tutorat porterait sur l'oral d'exégèse ayant lieu en avril). Bien entendu je n'avais rien, n'ayant jamais travaillé ainsi avec mes tuteurs. Rentrée de cours à minuit, travail de quatre heures du matin à huit (heureusement Olivier commençait à dix heures), premier envoi mardi matin avec promesse d'un second, rebelote dans la nuit de mardi à mercredi, envoi mercredi midi du choix de ma péricope et d'une ébauche d'analyse (ayant choisi un sujet sur l'épître aux Colossiens, il m'appartenait de délimiter un extrait (péricope) de l'épître pour répondre au sujet).

J'appréhendais de la rencontrer. Elle m'a reprochée de lui avoir envoyer la péricope trop tard, qu'ainsi «il lui était difficile de m'aider». Et effectivement, elle m'a aidée. Elle avait apporté des photocopies de dictionnaire, m'a indiquée par quoi il fallait commencer, a articulé une problématique, m'a donnée des pistes («les impératifs de Paul renvoient toujours à des affirmations, trouvez lesquelles»; «quelle est la question théologique posée par Nostra Æetate?» Je balbutie quelque chose. «Non, ça, c'est la réponse»). Elle a défriché, donné des principes, je me suis sentie moins démunie face à ce truc fuyant et incompréhensible qu'est l'ecclésiologie («le corps mystique du Christ»: mais y a-t-il quelqu'un qui comprenne vraiment ce que cela veut dire?)
Elle a terminé en me disant que dans les deux mois à venir je pouvais être amenée à changer de problématique et de plan au fur à mesure de ma réflexion, qu'à la fin de mon travail mon approche du sujet aurait sans doute changé, que «j'aurai été déplacée».
Et cela m'a fait rire en me rappelant une boutade de première année. Qui avait dit que dans cette maison, le leitmotiv était «le déplacement» accompli par tout travail? (la façon dont ce qu'on pense à priori avant de commencer est transformée par le travail accompli: ce qui compte, c'est la mesure de ce déplacement, c'est d'avoir conscience de l'écart et être capable d'en rendre compte). Je l'avais totalement oublié, voilà que cela ressurgissait.

Je suis sortie de la rencontre ravigotée. Je me sens comme un pied de petit pois qui aurait trouvé sa rame.

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Agenda
Le soir The Haunting Melody avec la classe d'Olivier. Beaucoup somnolé, des bribes de musique passant dans mes songes. Je ne suis pas emballée mais cela pourrait intéresser mes amis mélomanes (ou musicologues? réflexion sur les musiques qui tissent nos vies bon gré mal gré).