Depuis le légendaire permis de Claude (légendaire: legenda est, qui doit être raconté), nous avions pour mission de lui trouver une voiture.
Personnellement, j'étais plutôt pressée, car elle prend son vélo pour aller à son club d'équitation en empruntant une route départementale non éclairée sur laquelle les gens roulent vite: depuis que j'avais compris cela, je n'étais pas très rassurée.

J'ai fait plusieurs erreurs. La première a été de conseiller à ma fille de chercher une voiture à Lisieux et aux alentours: en réalité, même si elle a la langue bien pendue, elle est timide (elle n'ose même pas aller chez un coiffeur qu'elle ne connaît pas, il faut que je l'accompagne la première fois). Donc elle n'a rien fait, cela a traîné durant novembre et décembre avant que je ne comprenne ce qui était en train de se passer.
Ensuite, quand j'eus compris le problème et m'apprêtais à faire les recherches moi-même, j'ai fait l'erreur de dire à Hervé que j'avais profité de janvier pour envoyer mes vœux par sms à notre ancien garagiste afin de le prévenir que nous n'avions plus de Mazda (nous continuions à lui emmener "la blanche" de temps en temps). Hervé avait trouvé cela bizarre, mais quand je lui ai montré la réponse amicale et personnelle reçue en retour (bien davantage qu'une réponse stéréotypée), il s'est exclamé: «Je sais, nous allons lui demander de chercher une voiture pour nous».

Sauf que cet homme a sa propre vie et sans doute aussi peu de temps que nous; bien qu'il eût accepté très aimablement la mission, il ne trouvait pas, cela traînait — quand j'ai constaté que c'était une fausse bonne idée il était trop tard: je ne pouvais plus par politesse chercher de mon côté. (Et je n'avais qu'une crainte, c'est que Claude ne se fît renverser par une voiture alors qu'elle aurait dû ne plus être à vélo depuis décembre. Je ne me le serais jamais pardonné.)

Le garagiste a fini par déclarer forfait et avouer à Hervé qu'il ne trouvait pas (je ne sais pas quels critères haut de gamme il avait retenus). Entretemps — jeudi dernier — Claude avait pour la première fois montré un signe d'intérêt pour une voiture en m'envoyant un message FB: «Si vous trouvez une voiture, dites-le moi, je vais être en vacances, donc je peux venir.»

Vendredi, je suis donc passée sur leboncoin.fr, j'ai choisi trois critères (moins de 3000 euros, essence, Ile de France) et sélectionné trois voitures. J'ai envoyé des sms pour prendre rendez-vous et envoyé les liens à Hervé pour lui demander son avis.
Bien entendu, aucune des voitures que j'avais sélectionnées ne lui convenait et il m'a dit qu'il s'en occupait. (J'ai l'habitude, chaque fois que je commence à avancer sur un sujet sur lequel il traîne depuis des semaines, il n'est pas d'accord avec ce que j'ai fait et s'y met enfin (c'est désagréable, mais ça fait rire les enfants tant c'est caricatural et c'est une façon comme une autre d'aboutir)). J'ai envoyé des sms pour me décommander et le soir quand je suis rentrée il avait six rendez-vous pour le week-end.
Quelqu'un a téléphoné dans la soirée, sa voiture était déposée le lendemain dans un garage, il fallait venir la voir tout de suite — à un kilomètre de chez nous à vol d'oiseau. Nous y sommes allés, peugeot 306 vert foncé, 1997, 80000 km entretenue de façon familiale par le père bougon (c'est la fille qui vendait). Nous l'avons essayée et nous l'avons achetée.

Dans la salle à manger brûlait un feu, le canapé était en velours avec de grosses fleurs, au mur un Angelus de Millet en canevas et dans la bibliothèque que j'ai explorée du coin de l'œil tandis que se remplissaient les papiers, j'ai repéré la trilogie des Flicka, une vingtaine de livres de la collection blanche "Des Femmes" (dont Crime et Châtiment en deux tomes), une Bible, un livre sur les régimes, des livres sur De Gaulle.
Cette France que je connais si bien et que j'aime d'une profonde tendresse, que je voudrais ne pas voir disparaître trop vite — et surtout sans témoin.