A. voulait faire des études d'ostéopathie équine. Pour être admise à l'école, il fallait écrire une lettre de motivation. A ma grande surprise, elle avait des arguments extrêmement précis; en particulier, elle expliquait qu'elle ne voulait pas devenir vétérinaire car elle ne voulait pas euthanasier d'animaux.

Elle est à l'école à Lisieux, et cela lui plaît tant, la région et les gens, qu'elle ne rentre jamais, sauf pour les anniversaires ou comme à présent pour un job d'été. Elle a passé le dernier mois dans un haras qui à bien y regarder est surtout une ferme. Elle nous raconte ses aventures (Martine à la ferme) avec son habituelle vitalité et c'est assez étrange de la voir ainsi "boucler" sur nos souvenirs d'enfance qu'elle n'a pas connus:
— Oui alors tu comprends, c'est un veau, enfin une génisse, qui a perdu sa mère à la naissance, il a été élevé au biberon. Il avait rejoint le troupeau et il fallait absolument la séparer, parce qu'elle n'a qu'un an et qu'il ne faut pas que le taureau la saillisse…
— Il y a un taureau dans le troupeau? (De la saillie libre, je ne pensais pas que cela se pratiquait, ou alors par emprunt d'un taureau, quelques jours)
— Oui, et même deux, un jeune et un vieux. D'ailleurs (un autre jour, je vous épargne le contexte) Luc m'a dit: «Paulette, va réveiller le taureau…
— Paulette?
— Oui, il appelle toutes les filles Paulette: «Paulette, va réveiller le taureau et amène le au pré» et il m'a tendu un bâton…
— Et alors, tu lui as donné un grand coup de bâton sur les fesses?
— Euh non, j'ai sifflé et j'ai frappé par terre, il a ouvert un œil et il a fait tout un détour au lieu de passer au milieu de la stabu et si je me mettais sur le côté il allait de l'autre et Luc qui criait «Alors ça vient ce taureau?» «Ça vient, ça vient».
[…]
— J'ai même pas réussi à leur voler un kilo de miel sur les cent cinquante que j'ai aidé à récolter. Si tu veux, il m'a parlé d'une ruchette… (je lui avais dit que j'aurai volontiers eu quelques ruches quand j'avais appris qu'elle avait acquis des notions d'apiculture.)
— Inutile, papa ne veut pas.
— Ce n'est pas que je ne veux pas, c'est interdit en zone urbaine.
— Comment ça, il y en a même sur les terrasses des Champs, ce n'est pas urbain, peut-être? D'ailleurs, je me demande ce qu'elles butinent.
— Aucune importance tant que ce n'est pas du colza!
— Pourquoi, ce n'est pas bon?
— Ça durcit très très vite, c'est impossible à manipuler, on ne peut rien en faire.
[…]
Elle raconte les poulets, la machine à plumer, les coqs de trois ou quatre kilos portés à bout de bras, la conduite du tracteur sur cent mètres:
— L'accélérateur était très sensible, et avec les ornières, ça cahotait, je faisais des à-coups sur la pédale. J'ai découvert que ça allait mieux en me calant au fond du siège (Ce n'est pas que ça cahote moins, c'est qu'alors tu fais partie du système, glisse son frère), mais c'était taille Luc, alors je ne touchais la pédale que de la pointe du pied. […] On a rentré le foin […] On n'a pas le droit d'élaguer en juillet à cause des naissances […]
[…]
— Les agriculteurs avaient bloqué les ponts, il devait livrer des cochons d'Inde à une animalerie, il a mis quatorze heures a faire l'aller-retour Lisieux-Lille.
— Et les cochons d'Inde, ils ont supporté le trajet?
— Oui, c'est l'aller-retour qui faisait quatorze heures. Mais il y a eu des morts dans les lapins béliers, ils supportent très mal la chaleur. Même dans leur bâtiment ventilé, il y a des morts presque chaque matin.

— De toute façon, conclut-elle avec une pointe de regret qui ne l'empêche pas de dévorer le poulet qu'elle nous a ramené de la ferme, ce stage a été très instructif. Je n'ai jamais autant côtoyé la mort que durant ce mois.


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Sortie dominicale : 12 km en skiff.