Au petit déjeuner, je me retrouve en face de Joseph O'Leary pour lequel j'éprouve une amitié particulière du fait de la façon familière dont ses amis l'appellent "Jo" (cela me rappelle mon oncle : étrange raison pour laquelle apprécier quelqu'un, totalement affective et irrationnelle. Mais quelle importance quand cela porte à l'affection et non au dégoût?)
La conversation est passionnante. Il est irlandais et professeur au Japon, passionné de musique. Nous parlons de la Genèse, je lui parle des podcasts de Römer: «Vous aimez internet? — Oui. — Internet a ruiné ma vie, me déclare-t-il avec conviction. Je lève un sourcil interrogatif. — Sans internet, j'aurais davantage travailler mes idéogrammes, je parlerais mieux japonais, je n'ai pas assez travaillé.»
Il me parle de Saint Augustin, de telle façon que je demande: «Vous l'avez lu en latin? — Oui, c'est important, il faut s'imprégner du rythme de la phrase. — Hmm. J'ai du mal avec le latin, et encore plus avec les traductions en français du latin. — Saint Augustin, c'est facile, très clair, sauf au début où il essaie de ressembler à Cicéron.»
J'ai fait une note intérieure : lire Augustin en bilingue (non, pas en latin, je ne me fais pas d'illusions sur mon niveau). De toute façon, en à peine trois jours, une évidence s'impose (une évidence peut-elle ne pas s'imposer): l'importance des longues. Tous les intervenants sont au moins trilingues, français-allemand-italien, et je suppose que l'anglais va de soi. Il faut dire aussi qu'être luxembourgeois est un avantage (mais tous ne sont pas luxembourgeois)…


La suite… j'ai un problème pour continuer. Je suis timide et j'ai peur. Si je mets des noms, vais-je être repérée, reconnue? (Les noms cités ne sont pas si présents sur le net que mon blog ne puisse arriver assez haut dans les requêtes Google) Assumé-je d'être reconnue? D'un autre côté, il y a le petit pang de fierté à raconter une anecdote avec des noms connus…
D'un autre côté — encore — c'est une illusion de croire que ce que j'écris ici ait une quelconque importance.


Voici donc des anecdotes, des souvenirs. Je laisse le contenu des interventions qui, avec de la chance, seront publiées en actes.


Souvenir de Jean Greisch lors du colloque autour de Lévinas à Cerisy : « Levinas était un adversaire farouche du sacré. Un après-midi nous sommes allés visiter Bayeux. Soudain je vois Lévinas se troubler, s’arrêter devant une porte surmontée de l’inscription «sacritia». Inquiet, il se tourne vers moi et me demande ce que cela signifie. Je lui réponds pour le rassurer : «c’est le vestiaire du prêtre qui se prépare pour la messe». A ce moment-là un prêtre sort en aube et Lévinas pousse un soupir de soulagement : «Regardez, vous aviez raison».

Une remarque de JG : «ce qui m’a toujours impressionné, c’est que lorsque les événements deviennent vraiment importants, les témoins dorment ou s’endorment (jardin des Oliviers, etc). JG ajoute (en opposition à Ricœur) : «Dieu est trop précieux pour qu’on le laisse aux théologiens.»

E. Falque commence son intervention en offrant deux peluches à JG: un hérisson et un renard. C'est une allusion à un article de EF dans les Mélanges offert à JG (Le souci du passage) dans lequel EF comparait JG à un renardet lui-m ême à un hérisson (allusion à un adage antique commenté par Isaiah Berlin : « le renard connaît beaucoup de choses, mais le hérisson connaît une grande chose ». JG, piqué, y a répondu dans un conte Le Renard et le Hérisson).

Une remarque de JG: «En Souabe on dit de quelque chose qui s’est passé depuis très longtemps : c’est tellement loin que bientôt ce ne sera plus vrai. Le Christ est peut-être mort sur la croix, mais c’est tellement loin que bientôt ce ne sera plus vrai. Ça m’a beaucoup marqué.»

Un souvenir de JG: «Le Cantique des Cantiques est le plus métaphorique des livres de la Bible. Je me souviens de Stanislas Breton en train de dire à Ricœur sur le pont devant le château (de Cerisy): «pourquoi le fiancé dit-il à sa bien-aimée : «tu ressembles à une gazelle», et non à un éléphant?».
Ricœur s’est écroulé de rire et j’en ai profité pour prendre une photo en me disant : «pour une fois nous aurons une photo où Ricœur ne ressemblera pas à un bagnard».

Le soir, le conte porte sur l'immortalité (une histoire de pirate — je n'ai pas retenu le titre et ce sont des contes non encore publiés), et après avoir bu un peu de cidre, je raconte le scénario de La mort vous a si bien et le début du Book of skulls (Silverberg) (sans spoiler la fin) devant des philosophes incrédules (une étudiante et un bénédictin que cela fait beaucoup rire (heureusement que je ne savais pas qu'il était bénédictin, je n'aurais peut-être pas osé être si peu sérieuse (il me cite Incassable)) la conversation dérive et je ne sais comment nous nous retrouvons à parler de BHL et du canular Botul. Il faut l’expliquer au Luxembourgeois présent à table. Une étudiante m’enchante en racontant que son prof écrivait « BHL » dans la marge des copies pour dire « mal écrit » et un autre que le sien (ou le même? est-il possible que deux professeurs de philo sans se connaître pratiquent le même genre d’humour? (ou se connaissent-ils?)) « Onfray » pour dire que c’était n’importe quoi.

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Quelques livres cités
Mélanges offert à JG : Le souci du passage
Ricœur : La métaphore vive
Derrida : La mythologie blanche