(proverbe polonais)

Journée blanche, anesthésiée. Certains parlent de colère, d'autres de partir. Je ne ressens rien d'autre que l'inéluctable et une certaine détermination.

Quand donc ai-je entendu parler pour la première fois de la proclamation d'un "califat"? C'était l'été, en 2014, et ce jour-là, j'ai su qu'il y aurait la guerre, aussi sûrement que si j'avais entendu Hitler parler du IIIe Reich. Puis les massacres d'hommes, les enlèvements de femmes, les conquêtes territoriales. Cela ressemblait tellement à la conquête territoriale arabe de la fin du premier millénaire (ou celle de Charlemagne deux siècles avant, pour "équilibrer" les religions: car pour moi il s'agit avant tout de conquête de territoire, la religion n'est qu'un instrument de communication (de propagande, de marketing). L'important, c'est le pouvoir et la richesse.) Un jour, il y aurait affrontement, c'était certain; mais pour cela, il faudrait que l'Occident se sente, soit, directement menacé.
Eh bien voilà. Que va-t-il se passer?

Le bilan est incroyable, cent-vingt-neuf morts, plus de trois cents blessés. Je repense à M. qui me demandait si les gens avaient raison de quitter la Syrie, s'ils ne feraient pas mieux de rester chez eux pour défendre leur pays: «tu sais, quand tu es civil, tu ne défends rien du tout. Tu te prends des bombes sur la tête et tu ne peux absolument rien faire. Ta seule obsession, c'est de nourrir les enfants».
Ce matin, nous pouvons un peu plus imaginer ce que cela serait de vivre ainsi tous les jours.

Ce qui me paraît extraordinaire, ce qui suspend le temps, c'est de repenser à son propre état, ses pensées, ses projets, quelques heures avant les événements, dans l'innocence, quand nous ne savions pas ce qui nous attendait. Fêter un anniversaire, planifier un week-end, travailler le dossier du TG (en retard, en retard), téléphoner à sa tante, écrire des choses de peu d'importance sur FB, tout était différent avant les événements, tout prend une autre couleur et un autre poids après, je me prends à penser «si j'avais su, je…» Mais je quoi? C'est une vie normale, et ce que vienne chercher ceux qui fuient, c'est une vie normale, une vie où il est normal que le plus important soit de planifier des anniversaires et des week-ends, et non la façon de survivre sans eau dans une cave.

Cependant, c'est l'état de toutes nos minutes. Nous vivons dans la certitude de nos prochaines heures et journées, et pourtant à tout moment il peut y avoir un accident, une rupture, une mort, qui fasse que «plus rien ne sera jamais comme avant». Mais nous l'oublions. Est-ce un bien ou un mal, la condition nécessaire pour pouvoir vivre, le luxe d'une vie sans grande difficulté, ou l'erreur qui ne nous fait pas assez profiter de chaque minute?

Etat d'urgence. H. et A. avaient rendez-vous à Paris —chacun de leur côté— ce matin, j'avais cours l'après-midi, nous serions peut-être passés à la galerie Sakura ensuite, O. se serait débrouillé seul pour sa réunion scoute, il fallait caser les courses, etc: tout cela annulé, tous ces projets, cette agitation, cette futilité, annulés.
Comme c'est simple.
Etat d'urgence.