L'annonce du califat l'été 2014 m'avait convaincue que nous allions au devant d'un conflit réel, que ce qui se préparait, c'était une agression généralisée, que ce qui paraissait être un conflit local allait s'étendre à l'Occident, et qu'un jour, nous serions obligés d'intervenir (en attendant, nous ne le pouvions pas (accusation d'ingérence) et nous le voulions pas (qui voudrait envoyer ses enfants à la guerre sans y être obligé?) (le "nous" était et reste flou dans mon esprit: la France, l'Europe, les pays volontaires? tous ceux qui ne veulent pas subir.))
Il y a eu un autre moment dont je suis incapable de retrouver la date. Avant ou après Charlie (janvier 2015), avant ou après l'enlèvement des écolières par Boko Haram (avril 2014)? Il s'agit de la première fois où j'ai entendu dire que dans les territoires conquis, les hommes étaient systématiquement abattus et les jeunes filles et jeunes femmes vendues. Une certitude absolue, de l'ordre du soulagement, m'a alors envahie: cela ne durerait pas longtemps, deux ans, cinq ans, mais cela ne durerait pas longtemps. Il fallait simplement attendre que l'Occident se sente concerné, mais une idéologie capable d'agir aussi systématiquement (et non de se contenter de conquérir des territoires pour les exploiter) allait obligatoirement nous attaquer. Cela ne durerait pas longtemps et ils allaient perdre. Les fous fanatiques perdent. Ils occasionnent beaucoup de dégâts mais ils perdent une fois qu'ils ont dressé le monde entier contre eux.

Une question: pourquoi ne prenons-nous aucune mesure contre l'Arabie Saoudite? Cela m'avait déjà frappée après le 11 septembre 2001, quand il me semblait que l'Arabie saoudite était un responsable plus assuré que l'Irak. Si nous bloquions leurs avoirs comme nous l'avons fait pour les Russes, cela leur poserait de sérieux problèmes.
Pourquoi ne prenons-nous aucune mesure contre l'Arabie saoudite? (Allons-nous réellement aller jouer au football au Qatar? N'avons-nous aucune dignité?)
Le juge Trévidic — très à la mode en ce moment. Quel bonheur cela doit être pour lui d'être enfin entendu et écouté après ce que j'imagine être des années d'impuissance et de frustration: savoir, mais ne pas être écouté; savoir, mais ne pas avoir le droit d'agir — explique: «l'Arabie saoudite convient aux Etats-Unis car c'est une dictature libérale, on peut faire du commerce avec eux.»
Il va peut-être falloir revoir ces priorités.

Dernier point: préparer la paix. J'ai appris de Geremek que l'idée de ce qui allait devenir la CECA (communauté européenne du charbon et de l'acier), ancêtre de l'actuelle Union européenne, avait été travaillée dès 1942 ou 1943, pendant la campagne de Libye, au plus fort de la guerre contre l'Allemagne. Nous (l'Occident) n'avons pas su préparer la paix en Afghanistan. Il faut s'y prendre très tôt, et il faut trouver les bonnes personnes, il faut trouver des représentants du Moyen-Orient ou de l'Asie suffisamment compétents et charismatiques pour discuter entre eux et être écoutés et crus par les populations locales. Ce n'est pas avec nous qu'il faut que la région du Moyen-Orient fasse la paix, mais entre eux. (Nous, ils ne nous croient pas, et pourquoi nous croiraient-ils, depuis le XIXe siècle, depuis les traîtrises de Lawrence d'Arabie, le lâchage de Mossadegh, etc?)
Y a-t-il aujourd'hui des personnages suffisamment emblématiques pour porter cette volonté de (future) paix? Je ne peux penser à aucun nom, mais je ne suis pas une spécialiste. Il doit bien en avoir quelques-uns (pas sûr…).