Matinée à l'hôtel encore (après un petit déjeuner somptueux), H. est en rendez-vous. «Ce matin je vois Happy Potter», m'annonce-t-il au petit déjeuner. Je suis un peu surprise, mais après explication, il s'avère qu'il s'agit d'"un pipoteur". (Finalement non, (ou peut-être, mais il le cache suffisamment pour faire bonne impression), et la réunion sera prolongée).
Même routine qu'hier (après avoir vérifié que je n'ai pas le temps en son absence de monter jusqu'au cimetière du Bronx où est enterré Melville), en son absence je range tout ce que je peux et me remets devant l'ordi (c'est tout de même un grand plaisir de pouvoir écrire et surfer, d'avoir du temps pour cela, même si cela paraît stupide de le faire à New York: autant rester chez soi (mais non, ce n'est pas tout à fait vrai, pensé-je en regardant le mur de briques en face et les cubicles vides à travers les fenêtres (hier les bureaux étaient animés, aujourd'hui personne)). Il pleut, il bruine. Je commence Poésie du gérondif. L'auteur a beaucoup d'humour, et sur le fond, c'est fascinant. «…l'une des leçons qu'on apprend à force de fréquenter Internet, c'est qu'aucun cinglé n'est seul de son espèce» (p.13)1.

Visite du musée du métro et trains de banlieue (ce n'est pas au 130 rue Livingston, mais à l'angle de la place Boerum et de la rue Shermerhorn: l'entrée ressemble à une entrée de métro (signalée par les habituelles boules vertes), normal puisque c'en est une: une ancienne station de métro transformée en musée (mais pourquoi ne change-t-il pas l'adresse sur le site internet? au 130 se trouve les bureau de la MTA (équivalent de la RATP), et ils ont dû être si souvent dérangés que deux petites plaques gravées sont collées sur les vitres indiquant la véritable entrée. Incompréhensible.)

C'est le paradis des enfants et une grande bouffée de nostalgie. Je me demande si un jour quelqu'un trouvera jolis nos wagons, comme nous trouvons jolies les voitures du début du XXe. Possibilité de s'offrir des boutons de manchette frappés du Y des anciens jetons qui servaient de billets d'entrée jusque dans les années 80.

Exposition sur les crises: septembre 2001, bien sûr, août 2003, où les gens étaient si soulagés que ce ne soit qu'une coupure de courant qu'ils sourient tous largement, ouragans Irène et Sandy. En fait le métro vit des situations de crise très régulièrement et accumule de l'expérience: prévoir des camions-batteries surper-puissants (en 2001, l'une des tours qui s'est écroulée fournissait de l'électricité au bas de Mahattan), prévoir un circuit téléphone de secours (des talkies-walkies appelés téléphones aller-retour ou téléphones va-et-vient, je ne sais comment traduire mot à mot), prévoir des lampes-torches pour chaque conducteur (400 000 personnes évacuées en trois heures en 2003. J'ai pensé à l'incident sur le RER A2. Nous ne sommes pas très préparés. H. m'assure qu'il ne peut y avoir de telles coupures d'électricité à Paris, que la structure de nos équipements n'est pas la même.)
Je retiens que le grand ennemi, le monstre qui menace, c'est l'eau: par temps sec, le métro pompe et refoule 93000 gallons d'eau par jour. En août 2003, le plus gros risque fut l'interruption des pompes.

Encore une exposition qui donne envie de devenir ingénieur. Une ode aux héros du quotidien, aussi, à tous ceux qui apprenant la catastrophe mettent leurs chaussures et retournent à leur poste sans attendre d'être appelés.

Paradis des enfants : volants, moteurs, manettes, ils sont invités à manipuler tout ce qui se trouve à leur portée. Avec cette conséquence, qui nous a beaucoup plu:



En sortant, nous décidons d'en profiter pour traverser le pont de Brooklin. Il fait anormalement doux, c'est extraordinaire (trois pieds de neige l'année dernière à la même époque, a dit le taxi à H. ce matin). Une soupe et un sandwich dans un Potbelly (c'est le nom d'une marque de poêle qui a réchauffé des générations de familles américaines). Je suis amenée (tant mieux) à me dire que j'ai écrit n'importe quoi il y a deux jours: on peut manger très bien dans des établissements sans prétention. Le problème de Philadelphie, c'est qu'il s'agissait d'adresses pour "repas d'affaires", donc prétentieuses.
Une affichette en devanture illustre les rapports bien compris entre clients et fournisseurs (le reste de la déco était très plaisante, variation sur des vues de New York enfui).


Entrez manger avant que nous ne mourrions de faim tous les deux.


Traversée du pont. Il bruine. One World Trade Center disparaît dans la brume. Aucun intérêt de monter si haut. Un paquebot au loin, les navettes de touristes qui longent le bas de Manhattan tristement désertées. La statue de la liberté paraît toute petite.
De l'autre côté du pont se trouve le bâtiment le plus laid que j'ai jamais vu: le Manhattan Municipal Building, quelque chose qui évoque Brazil et l'Union soviétique. Au secours! (De façon générale, cette ville est très laide. Très vivante mais très laide).

Retour à l'hôtel où nous avons laissé nos affaires. Nous allons déménager, à partir de maintenant l'hôtel n'est plus payé par l'entreprise d'H., nous allons descendre en gamme (c'est l'agence de voyage de l'entreprise qui a choisi cet hôtel luxueux dans le bas de Manhattan: à partir de maintenant nous ne dépendons plus que de nous). Je photographie une peinture murale à deux pas.



Une bassine de café latte plus tard, nous partons pour notre nouvel hôtel dans la 35th. La chambre est très jolie, mais elle s'avèrera terriblement bruyante.
Dîner au Coréen d'en face (Han Bat 53W, 35th St. W 35th St, c'est la rue des Coréens, c'est à peine si les menus sont traduits en anglais. Pratiquement que des Coréens comme clients). Je mange une marmite en fonte brûlante de riz aux crevettes et à la pieuvre (haemul dolsot bibimbap). Le garçon désespéré me voyant pêcher timidement du bout des baguettes quelques crevettes à la surface de ma marmite intervient: «c'est mon plat préféré» et il me montre comment mélanger le tout avec vigueur avec la cuillère plate qui accompagne les baguettes: la fonte est si chaude qu'elle fait frire le riz qui craque sous la dent. C'est effectivement très bon. Je découvre un goût inconnu, quelque chose entre la rose et la violette. Aucune idée de ce que c'est. H. suggère que c'est l'huile de cuisson qui est parfumée. Mais à quoi?


Notes
1 : Cela me rappelle la triste histoire de la baleine solitaire. J'aimerais tant apprendre qu'elle en a croisé une autre ayant la même anomalie.
2 : 2012… Je n'imaginais pas que c'était si vieux. Je me demande s'il y a un rapport entre la commission d'enquête évoquée en fin d'article et les travaux qui ont commencé cet été et vont durer sept ans.