D'une case à l'autre

Je suis rentrée démoralisée. Je me suis encore échauffée avec A. (ou contre A., mais je n'ai pas envie d'être contre A.)

En 2014 ou 2015, un "accord national interprofessionnel" (ANI) a changé quelques règles concernant la couverture santé des salariés. En particulier, tout salarié qui quitte son entreprise conserve gratuitement sa couverture santé pendant une durée au moins égale à son contrat de travail1. Ce dispositif a pour nom "portabilité". Pour pouvoir en bénéficier, il faut percevoir une allocation chômage.

Ce soir nous avons eu l'appel d'une ex-salariée dont le congé maternité vient de commencer: elle est sortie de la case "chômage" pour entrer dans celle des "indemnités journalières de la sécurité sociale" (IJSS). En conséquence de quoi, la complémentaire de la branche assurance (le RPP) a interrompu sa couverture (l'a radiée) au prétexte qu'elle ne touche plus d'allocation chômage.

J'appelle A. (elle-même enceinte), juriste et administrateur de la mutuelle, pour savoir ce qu'elle sait, expérimentalement, des remboursements quand on est enceinte:
— C'est pris à 100% mais il ne faut pas qu'il y ait de dépassement, il faut qu'elle fasse attention, qu'elle aille à l'hôpital pour l'accouchement.
— Mais c'est vraiment ce que le RPP voulait? Il voulait vraiment ne pas couvrir les femmes enceintes, ce n'est pas un effet de bord imprévu? Mais il pourrait le dire, au moins oralement s'il ne veut pas l'écrire, qu'on prévienne les gens, qu'on les renseigne!
— Mais les gens devraient se renseigner tous seuls, quand même! On fait attention, on ne tombe pas enceinte n'importe quand!2!
— Mais justement : elle est au chômage, elle fait un bébé, ça ne gêne personne. Comment voulais-tu qu'elle imagine que cela allait lui couper la mutuelle? On s'imagine tous en France que les femmes sont davantage protégées quand elles sont enceintes, et pas moins! Ceux qui se renseignent, soit ils se sont déjà fait avoir, soit ce sont des fraudeurs. Les gens normaux regardent juste leur compte en banque pour vérifier qu'ils ont de quoi vivre. Alloc chômage ou IJSS, ils s'en fichent. Et comment veux-tu imaginer que passer de l'un à l'autre va te couper la mutuelle? C'est normal de ne pas imaginer ça!
Devant mon énervement, elle sort un atout de sa manche:
— Il me semble qu'il y a controverse: la portabilité est due si la personne a droit aux allocations chômage, mais il y a interprétation: cela veut-il dire qu'il faut que la personne les touche effectivement, ou suffit-il que sa situation soit telle qu'elle lui en ouvre potentiellement les droits?

Les bras m'en tombent. C'est tout ce qu'elle trouve à me dire? Il faut que les salariés soient tous des as de la jurisprudence?
A bas les juristes. A bas les Romains. Qu'on me rendent les Grecs!!


Note
1 : à condition d'avoir travaillé au moins un mois. La durée de la garantie gratuite est plafonnée à un an.
2 : passons sur le manque de solidarité féminine qui m'estomaque.

22/365 - d'un quai l'autre

Dans un sens, RAS : train du matin à l'heure (7h53); rentrée le soir sans attendre ni le RER A (annoncé "en retard", mais il suffit d'être là au moment où il arrive) ni le RER D ("départ retardé" affiché, mais il suffit d'arriver au moment où il part (soit 18h23)).

Cependant il s'est produit l'un de ses petits malmenages dont j'essaie de rendre le goût.

En arrivant gare de Lyon, un train zico (donc à quai puisqu'il part de gare de Lyon) est annoncé "départ retardé" (ce qui ne permet pas de savoir quand il va partir, de dix minutes à plus d'une heure, tout est possible). Il est plein, les voyageurs se sont installés et vaquent à leurs occupations sans trop penser à ce retard (vive les portables!)
Soudain arrive de l'autre côté du quai un zaco qui vient des Halles et dessert les mêmes gares que le zico juqu'à Melun. Hésitation, flottement: abandonner sa place confortable pour monter dans ce train qui roule, ou attendre encore, assis certes, mais sans garantie de départ imminent.
(J'arrive à ce moment-là, j'hésite.)
Une partie des voyageurs commence à descendre, à traverser, à s'agglutiner en face des portes («veuillez laisser descendre avant de monter») car il s'agit de mettre un quart ou la moitié des voyageurs d'un train (le zico) dans un train déjà rempli de voyageurs (le zaco).

C'est alors que retentit la sonnerie annonçant la fermeture des portes du zico: il va partir d'une seconde à l'autre. Reflux précipité vers ce premier train des voyageurs qui venaient de le quitter…
J'y suis montée au dernier moment. Chacun essaie de retrouver une place assise. A l'étage, j'entends un monsieur aux cheveux gris: «le conducteur aurait pu faire une annonce, quand même. Pour eux on n'est qu'une marchandise.»
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