Dîné avec Monique. Il pleuvait à verse, je suis arrivée trempée au restaurant, elle aussi — bien plus tard car elle a espéré que la pluie s'arrête.
Parti en catastrophe pour tenter d'attrapper le dernier RER D passant aux Halles, c'est-à-dire celui de 21h30. J'ai réussi, je suis même arrivée un peu en avance, et pour m'occuper j'ai recherché "Béatrice Pouligny" sur twitter.

En effet, le matin, en cherchant un autre livre dans ma bibliothèque (celui de la dissidente Anna Politkovskaïa pour essayer d'expliquer Poutine à mon voisin…) j'étais tombée sur son livre, Ils nous avaient promis la paix et donc le soir, pour tromper l'attente, je lance une recherche sur son nom.

Béatrice, c'était l'année de mon entrée à Science-Po l'impressionnante élève de troisième année, connue à la fois pour ses excellents résultats (les profs distribuaient ses notes de lecture aux autres sans même les relire) et son parcours atypique (notes tapées à la machine (1986, le traitement de texte est rare) car elle était entrée à Science-Po sur dossier avec un BTS de secrétariat).
Une fois diplômée elle a été recrutée par Amnesty international pour un poste ordinairement réservé à des hommes expérimentés. J'ai suivi son parcours de loin en loin : plus tard elle a fait un doctorat et a travaillé au CERI. Twitter me renvoie ça : «Shaman Beatrice Pouligny PhD is coming by our sanctuary this Saturday at 1pm to perform a blessing on the whole… »
Shaman? Ça doit être un homonyme, ou cela doit vouloir dire quelque chose d'autre.

Je continue à chercher, directement sur Google : non, c'est bien elle, et il s'agit bien du shaman spirituel et guérisseur.
J'ai une amie shaman.

Comment dire la joie intense que cela suscite en moi : elle a osé ! Avec ses diplômes, son expérience, ses contacts au plus haut niveau international et universitaire, elle ose s'afficher shaman, avec tout ce que cela transporte de zazou et de hippie et de charlatan aux yeux d'un Français moyen (et alors non moyen, je n'ose imaginer: pas étonnant qu'elle soit aux US et pas en France).

J'ai été emplie d'une joie profonde : elle avait trouvé sa voie, une voie très particulière et elle avait osé l'emprunter, et elle l'affichait, et elle continuait à travailler pour la paix, sans renoncer devant l'ampleur de la tâche. J'ai eu envie de partager cette joie, mais avec qui? Pas avec P. dont je n'ai plus de nouvelles depuis vingt ans, pas avec H. qui lèverait les yeux au ciel devant cet irationalisme, pas avec les enfants que cela ferait rire, pas avec mes amis catholiques qui ne diraient rien en songeant "hérésie et superstition"…

Personne pour comprendre cette joie, alors je l'écris ici.