Mon coiffeur est raoultiste

C'est un coiffeur qui coiffe très bien (très très bien : le sens du cheveux rue du Mont Thabor) et qui coûte un pogon de dingue (vraiment: je n'y vais qu'une fois par an car j'ai honte de dépenser autant pour une coupe — mais une très belle coupe, qui donne une structure à l'ensemble de la chevelure pour un an.)

Cela a également un coût psychologique. Il fait de la coiffure «énergisante» en suivant la médecine chinoise et il faut supporter de s'entendre dire par exemple que vos cheveux tombent parce que vous n'avez pas accompli un deuil («un deuil, c'est la perte, pas forcément d'une personne»).
«Evidemment, raconté-je à H., c'est peut-être vrai. C'est juste invérifiable.»

Et tandis qu'il a quasi fini de me coiffer, que donc je vais le quitter (après le couvre-feu) et remettre mon masque, que nous évoquons la période actuelle, mon coiffeur m'annonce:
— Tout ça pour une maladie que nous savons guérir.
— … ???!!?
— Mais oui, le professeur Raoult, ils l'ont fait taire, ils guérissaient les gens, j'ai des amis à Marseille [je ne sais plus comment j'ai interrompu cette phrase].

La conversation a continué dans cette veine.
Le coiffeur : — Tout ça pour engraisser les labos.
Moi : — Les labos, ce sont aussi ceux qui font de la recherche. Moralité, avec ce genre d'état d'esprit en France, la recherche, elle se fait ailleurs.

C'est un combo : anti-vaxx, anti-agriculteurs, etc.
Il énonce comme une évidence: — Ce n'est pas avec des vaccins qu'on est parvenu à sept milliards de personnes sur terre.
Je m'étrangle : — Bien sûr que si! Et que nous soyons parvenu à les nourrir est une merveille de la révolution agricole! Vous vous rendez compte? On a doublé la population en cinquante ans et nourri tout le monde! Vous vous rappelez les famines au Sahel, au Bangladesh? Les vingt millions de Chinois morts de faim au moment du grand Bond en avant?
— Nous ne voyons vraiment pas le monde de la même façon.

Tout cela très calme, très feutré.
Ce qui m'effondre intérieurement, c'est la capacité d'inversion dans les raisonnements logiques. Une fois que j'ai entendu «Ce n'est pas avec des vaccins qu'on est parvenu à sept milliards de personnes sur terre» (j'était si estomaquée que je n'ai pas pris le temps d'écouter quelle était donc la cause de cet accroissement. Je le regrette.) je me dis qu'il faut tout reprendre depuis l'âge du CP à peu près, et que c'est trop loin, trop difficile, trop humiliant à exposer, aussi. C'est irréparable, en tout cas par moi. Je n'ai pas le courage.


Coïncidence, tard le soir H. regarde le documentaire d'Arte sur le scandale du tabac. Je découvre qu'il s'agit pour une fois d'un vrai complot, monté par l'industrie du tabac, pour cacher et falsifier des résultats scientifiques. Et ce vrai complot est le père de toutes les théories complotistes. Le reportage s'appelle La fabrique de l'ignorance.
Ce titre me met en rogne. En réalité, c'est de la tromperie organisée, pas de l'ignorance.

Baby krack

— Tu as entendu? Il y a 13 % de naissances en moins, pas du tout le babyboom annoncé. Remarque, je n'ai jamais compris pourquoi les gens pensaient que rester ensemble dans un appartement favorisait les naissances: la contraception reste la même. Les couples ne conçoivent pas sans le faire exprès, ils ont plutôt du mal à concevoir quand ils le souhaitent.
— C'est le contraire.
— Comment, ça le contraire ?
— Ce qui manque, ce sont les naissances conçues dans les hôtels, dans les colloques, lors de rencontres de hasard.

Je reste un moment sans comprendre :
— Tu veux dire que le taux actuel est le taux normal hors les naissances nées d'une aventure d'un soir?

Les adieux

Dernier jour dans le groupe dans lequel je suis entrée en août 1996 pour un CDD d'un an dans la même entreprise que je quitte aujourd'hui. Un an plus tard j'ai été embauchée dans une filiale du groupe, filiale dont j'ai évoqué la fin ici. Au cours des années j'ai travaillé successivement dans deux autres entreprises du groupe avant de revenir dans la première.

Ce matin, au réveil, je me suis rendue compte que je venais de rêver de tous les collègues de 1997-2001, Norbert, Philippe, Anne, Sandrine, Sakina, Léon, Nathalie, Jean-Marie, comme s'ils étaient venus me saluer une dernière fois.

*****

J'ai passé la journée à envoyer les derniers mails et à appeler les gens que j'apprécie pour leur dire en personne que je partais (parce que c'est terrible de s'apercevoir un matin que quelqu'un a disparu, s'est purement évanoui). Conversations chaleureuses et encourageantes, sans compter F. qui m'a dit: «tu me fais envie. Je vais essayer de bouger aussi» (pour Bordeaux).

Apéro en ligne durant tout le temps de mon retour en train avec les administrateurs de l'association sportive de la boîte. Ils m'on offert un olivier. Il a été livré au loft.
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