Plus de timbres dans les postes; plus d'argent dans les banques; plus d'horloge dans les gares; plus de mouchoirs, plus de baisers, plus d'adieux sur les quais.

Ce matin mon train est arrivé avec dix minutes de retard gare de Lyon, ce qui fait que les passagers du train d'en face (un ouigo: est-ce un corail? (team dépassée par la modernité)) étaient en train de monter en voiture tandis que nous banlieusards remontions vers la sortie de la gare.

Je ne sais pas à quelle heure partait ce train, mais sans doute peu après car les gens se hâtaient le long du train interminable (deux, peut-être trois, rames accolées).

Je peste in petto contre les nouvelles pratiques de la SNCF (je dis nouvelles… elles peuvent dater de plusieurs années, mais je ne les constate que depuis juin, à sortir en gare de surface pour acheter mon déjeuner) qui font ressembler le train à l'avion: obligation d'arriver en avance, attente dans le hall de gare avec accès fermé aux quais, filtrage aux portillons, interdiction aux familles et amis d'accompagner les voyageurs sur le quai pour les aider à porter leurs bagages et embrasser les enfants, disparitions des étreintes désespérées au moment la séparation…

C'est un départ en vacances: des familles, des demi-familles, un seul parent avec enfants, des colonies. Je repère une jeune femme avec une valise à roulettes, un sac à provision ficelé en équilibre instable sur cette valise, une petite fille de quatre ans qui en fait rouler une autre plus grosse qu'elle, un petit garçon de trois ans en électron libre car il ne reste pas de main maternelle pour le tenir. La jeune femme marche le plus vite possible, ce qui n'est pas très rapide — il ne faut pas faire tomber le sac, il ne faut pas perdre les enfants dans le grouillement pressé. Je prends la valise de la petite fille et remonte le train avec eux, car bien sûr leur voiture est l'avant-dernière (recherche angoissante puisque bien entendu les rames sont numérotées dans le désordre et que nous ne sommes pas très sûres de ne pas avoir raté la leur).

Je les laisse, repars vers la sortie. Le quai s'est vidé. J'engueule au passage deux ou trois grandes asperges de la SNCF qui ont passé leur temps à dire mollement aux voyageurs pressés des trucs du genre «attention au quai», sans jamais tendre le bras pour aider qui que ce soit (— Vous êtes fiers de vous? — Bonne journée à vous aussi, Madame; la réponse-bateau de ce genre d'andouilles.)

Un couple arrive en courant par les escaliers du hall 3.
Comme les rames se raccordent au niveau de ces escaliers, il y a une quinzaine de mètres sans porte.
«Courrez, entrez n'importe où!»
Je continue à marcher vers la sortie, me retourne.
Le temps qu'ils remontent les quinze mètres, les portes du train se sont fermées. Je vois leurs silhouettes tenter de les ouvrir, en vain. Les grandes asperges arrivent, ça parlemente. Ils tentent encore d'ouvrir.
Immobilité et silence. Suspension.
Puis le train s'ébranle.
Ils restent sur le quai, leurs valises au pied.