Au petit déjeuner, deux étudiantes, une Espagnole vivant à Venise et une Italienne. La jeune Espagnole est morte de froid, elle est logée aux Escures et ses draps sont humides, elle a attrapé un rhume. Par chance Dominique Peyrou vient déjeuner à côté de nous, il commence à discuter en espagnol (débat sur la popularité de l'espagnol auprès des Français, nous soutenons qu'il est de plus en plus enseigné car il permet de voyager) et une solution est trouvée (je n'en avais jamais douté, j'avais déjà conseillé d'aller voir le secrétariat, Jean-Christophe est précieux).

Matin à la laiterie. Deux interventions. Je suis surprise, nous sommes sur du très technique et jargon littéraire, loin de ces communications qui vous prennent par la main et vous emmènent en promenade. D'un autre côté, la présentation du colloque le laissait pressentir.

Au déjeuner nous continuons la discussion avec un autre couple venu selon le même modèle que nous: monsieur en télétravail, madame en colloque (elle intervient sur Claude Cahun, elle est la dernière samedi, ce qui signifie qu'elle va vivre sur le grill toute la semaine). Ils habitent Rome et vont déménager la semaine prochaine pour Maisons-Alfort. Echange sur les prix parisiens. Discussion également sur la production agricole, les modes d'alimentation et la démographie puisque monsieur travaille à la FAO (l'organisation pour l'alimentation et l'agriculture pour l'ONU).

Première journée signifie visite du château. J'y assiste chaque fois car chaque fois j'y apprend des choses nouvelles. M.Queval (de la famille de Jean Queval, fondateur de l'oulipo) est absent, c'est donc Dominique Peyrou et Edith qui nous proposent une visite à deux voix. J'entends à nouveau l'histoire du manoir protestant «après la révocation de l'Edit de Nantes, il y avait trois choix: la résistance (et la mort), l'exil ou la conversion. Ici il s'agit d'une conversion particulièrement réussie puisque l'un des membres de la famille est devenu évêque, d'où la bizarrerie d'un clocheton épiscopal sur un manoir protestant».

Il a fait très chaud la semaine précédente et l'étang était quasi à sec («nous avons été à deux doigts d'appeler l'office de l'eau pour sauver les poissons»). Il y avait ici deux moulins pour travailler le lin. Le mur de soutènement qui s'est effondré en 2012 a été reconstruit après que les architectes de la DRAC aient souligné que cela permettait de conserver l'alignement avec le toit à l'impérial des escures (les écuries).
Dominique Peyrou nous fait sourire en rappelant ses convictions d'enfant: un trésor était caché dans la tour qui s'est effondrée. (Hélas, les travaux menés lors de la reconstruction ont prouvé qu'il n'en était rien. Mais l'espoir de l'enfance n'est pas éteint pour autant.)
Cependant, des paysagistes ont regretté que ne soit pas mis davantage en lumière le magnifique platane de deux cent-cinquante ans planté sans doute pour fêter un mariage. La réflexion sur l'amènagement se poursuit donc (il faudra revenir).

Il s'est tenu dans le mois un foyer de réflexion autour des arbres et Edith prend beaucoup de plaisir à nous nommer les différentes essences du jardin, nous présentant tour à tour chaque arbre. (Je pense à RC: «nous ne voyons que ce que nous savons nommer»).
Sur la terrasse aux tilleuls, Edith nous fait remarquer un banc (une planche en forme de feuille) avec une boule de bois au bout: c'est un point d'exclamation, hommage au soixante-dix ou soixante-quinze ans de Derrida (je ne sais plus), qui tenait à être à Cerisy chaque année pour son anniversaire (15 juillet).

Ancienne ferme. C'est l'endroit que j'ai vu le plus se transformer depuis 2008: espace de vidéoconférence accessible aux handicapés et possibilité de traduction simultanée («car la centralité de la pensée française est moindre») dans la laiterie en 2012-20131; espace tisanerie, spot wifi et salle informatique à la place de ce que j'ai connu comme une seule salle en 2008. Il y a maintenant onze chambres au-dessus dans ce bâtiment.
L'étable est toujours aussi belle. C'est le lieu où commence les visites publiques, car le château est ouvert aux visites guidées. Il y avait ici quatre-vingts vaches, mais lorsque le paysan est parti à la retraite, il a été impossible de lui trouver un remplaçant (ce qui me fait penser que les colloques devaient être odoriférants dans les années 60-70, avec bouses, mouches et hirondelles). L'endroit a donc été tranformé en lieu d'exposition et de performance.

L'après-midi nous déménageons dans la bibliothèque, ce qui est plus satisfaisant sur les plans esthétique et tradition. Le deuxième intervenant de l'après-midi est pris à parti sur le thème de l'épistémocritique. Je suis perplexe. C'est mon troisième colloque "long" (d'une semaine) ici et celui ne ressemble pas aux deux premiers: la dimension chaleureuse est absente, les questions à la fin des interventions sont teintées d'agressivité et il est difficile d'intervenir dans la mesure où ce sont les experts reconnus qui prennent la parole les premiers.

Après le dîner (et une magnifique charlotte), visite du verger. Je retrouve la treille palissée à l'intérieur d'une serre dont elle suit la courbe. Poiriers, pommiers, dalhias. Edith nous montre alors un magnolia présentant une anastomose. Le mot m'a fait rire par son incongruïté (jamais entendu parlé), mais le phénomène est étonnant. Difficile d'imaginer la circulation de la sève.


Il s'agit de la branche au centre de la photo qui fait un pont entre deux branches

Nous rentrons dans la nuit.



Note
1: comme cette salle était beaucoup utilisée par le séminaire de Jean Ricardou, la bibliothèque de celui-ci a été installée ici après sa mort, ce qui en fait aussitôt une salle beaucoup plus cerisienne.