Ce matin j'ai laissé Les petits chevaux de Tarquinia à la maison, même s'il ne me restait que trente pages à lire: j'avais téléchargé une dizaine d'épisodes de Veronica Mars sur mon smartphone.

Sauf que j'ai oublié mon téléphone dans la voiture garée dans le parking de la gare.
Pas de livre, pas de téléphone.

Dans la journée, H. m'a envoyé un mail : «Tu as pris la voiture mais j'en ai besoin pour la compèt de ping. Je suis allé la chercher.»

Ah oui, la compèt de ping-pong. Donc il ne rentrera pas avant minuit, une heure du matin. Donc j'ai le temps de retourner voir Bullet Train à 19h10 aux Halles.
C'est durant les pubs que je me suis souvenue: comme d'habitude, j'avais laissé les clés de la maison dans la voiture (je n'aime pas me promener avec mes clés, je trouve ça lourd et bruyant).
Pas de livre, pas de téléphone, pas de clés. Et la maison fermée jusqu'à une heure du matin.

Comme je n'avais pas envie de prendre le risque de rentrer en bus comme mardi soir (peur de rentrer après H. et qu'il s'inquiète), je suis allée gare de Lyon dès la fin du film (si je n'avais pas craint de ne plus avoir de train après dix heures, j'aurais dîné à Paris).
J'y suis arrivée avec une demi-heure d'avance, le temps de trouver un livre dans un Relay H.
Constat: je ne connais quasi plus aucun nom de la littérature de gare, et il n'y a quasi plus aucun autre livre que de la littérature de gare dans les Relay H.
Je repars avec Économie utile pour des temps difficiles d'Esther Duflo et Abhijit V. Banerjee.
Je n'ai toujours ni clé ni téléphone, mais maintenant j'ai un livre.

Train à 22h16, à Moret vers 23h10, je me réfugie quelques minutes dans un escalier du parking (le but est de trouver un abri pour ne pas avoir trop froid pendant les deux heures à venir). J'espère dormir la tête sur les genoux mais je n'y parviens pas. Je descends l'avenue jusque chez moi, j'ai vaguement mal aux pieds, mon cartable est lourd.

Dans ma rue j'essaie quelques portails (espoir de me réfugier dans une cabane de jardin, avoir chaud), quelques poignées de voitures. C'est fou comme tout le monde ferme tout. A minuit les lampadaires s'éteignent (c'est nouveau, mesure en place depuis le premier octobre). Je m'approche du hall d'un immeuble bas proche du parking où H. devrait se garer, immeuble évidemment protégé par un digicode. Miracle, une lumière s'allume dans le hall, je vais pouvoir lire à travers la vitre.
Je lis; régulièrement la minuterie s'éteint et je sors de sous le porche pour me re-rapprocher et la faire se rallumer; je tiens ainsi quarante minutes, le froid gagne lentement mais c'est très supportable (j'ai une robe en laine).

Vers une heure moins dix je vais vérifier que je n'ai pas loupé la voiture et que H. n'est pas rentré. L'hôtel du cheval noir au bout de la rue laisse une veilleuse allumée, peut-être suffisante pour que je lise. Je tente, la réponse est oui, c'est plus faible et plus compliqué qu'à ma place précédente, mais il y fait plus chaud sous le porche et je peux enlever mes chaussures sur le paillasson ce qui soulage mes pieds.

Je lis ainsi cent pages; c'est clair et très intéressant. Je me situe à un carrefour de cinq rues (deux qui se croisent plus une); par instants des voitures, vélos, piétons, indiquent que des trains ou des bus viennent d'arriver à la gare un kilomètre plus haut; je pense que personne ne me remarque.
Une heure. Ce serait bien qu'il rentre. Pourvu qu'il ne prenne pas son temps.

Il est rentré à une heure et demie, après avoir ramené un jeune joueur à Avon. J'ai mangé des pâtes au gorgonzola (déjà prêtes: elles m'attendaient bien plus tôt).

Je me demande comment j'arrive encore à me mettre dans des situations pareilles. J'ai gardé un esprit très jeune.