Nous ne sommes plus que quatre, donc aujourd’hui pas de partage: c’est parti pour un vol long.

Je ne sais pas trop comment raconter: au moment du largage nous avons rejoint un groupe de vautours (l’optique de mon téléphone n’est pas assez bonne pour les capturer), nous sommes allés au mont Ventoux. Pat m’a beaucoup laissé piloter; c’était très perturbant car il donnait très peu d’indications («si je ne te laisse pas décider tu n’apprendras jamais») et j'ai du mal à engager les spirales, j'arrive à stabiliser l'assiette si je regarde à l'extérieur mais dans ce cas je ne vois pas le vario donc je ne sais pas si je monte dans l'ascendance et si je l'ai bien centrée.
Je laisse trop descendre le planeur et nous n'arriverons pas réellement à remonter pour aller aussi loin que souhaiter. Nous frôlons l'atterrissage, puis repartons en direction de Dignes où nous sommes arrêtés par un paquet de pluie.

A tout moment il faut prendre des décisions, c'est très intéressant mais épuisant. J'apprends qu'il faut aller vite entre les nuages (ce n'est pas instinctif car aller vite c'est piquer davantage donc potentiellement descendre davantage) et ralentir sous les cumulus à la recherche de l'ascendance, que les ascendances sont plutôt du côté du soleil mais pas toujours, «ça dépend du vent».
Toutes les règles sont ainsi, générales et inapplicables. Une sorte d'anti-statistique.
A un moment je fais une grosse bêtise et Pat rattrape du manche en catastrophe. La rapidité de sa réaction me fait comprendre que nous sommes passés près de l'accident, il se crée en moi une dépression qui doit être la réaction à la peur. Au bout de quatre heures je finis par rappeler à Pat que ce n'est que ma onzième sortie et que je n'y arrive plus s'il ne me donne pas quelques indications. Il reprend le manche et termine la sortie. Il commente: «c'est bien, tu écoutes ce qu'on te dit et tu n'es pas chiante», ce qui me fait plaisir.

Nous couvrons bien les planeurs car demain il est prévu de la pluie.

C'est moi qui offre l'apéro. J'assiste avec incrédulité aux récits des vols de la journée, je repense à Compagnon nous expliquant que la littérature est née autour du feu quand l'homme des cavernes racontait sa journée de chasse (est-ce une théorie de Carlo Ginzburg? Je ne sais plus). Je suis stupéfaite devant l'aspect «comparaison de taille de bites» de ces récits: sérieux, ils en sont encore là? Je me demande s'ils en sont conscients (sans doute que non).
Je bois trop de vin rouge.