Je me souviens qu'à la fin des années 90 on m'avait regardée avec incrédulité: mais enfin, un coiffeur ne travaille pas le lundi!

Pas de place samedi à Moret, mon coiffeur de secours à Paris ne travaille pas le lundi, je passe par Planity (l'appli, pas le site), je trouve Yonathan, (ce fancy name dénote le coiffeur homo (n'ayons pas peur des clichés)), je m'inscris (pas parce que ça dénote, etc: parce qu'il est ouvert le lundi).

En réalité je découvrirai un coiffeur pied noir sans l'accent. Pendant qu'une coiffeuse opulente et très brune m'applique ma teinture, je suis avec amusement via le miroir la tragicomédie qui se déroule derrière moi: une mère fait couper les cheveux de son fils de cinq ou six ans en donnant des indications extrêmement précises sur la longueur sur les côtés et surtout la longueur de la mèche, qui ne doit pas le gêner tout en restant la plus longue possible (un look Brad Pitt 2011).
Le garçon devant une vidéo est bien sage, la conversation truculente. J'identifie mal la voix du coiffeur, c'est quasi une voix féminine, non parce qu'elle est aiguë, mais parce qu'elle possède ce voile grave de certaines actrices féminines pied noir. Tout cela déborde d'énergie et de joie de vivre, avec une touche de fatalisme.

Je réalise avec un pang de culpabilité devenu courant ces derniers mois que c'est le milieu où je me sens dans mon élément, l'endroit qui me repose, où je me sens bien, mais que j'abandonne progressivement, que j'ai abandonné, pour des endroits plus glamours, plus branchés, où le carrelage est blanc et non noir, où la lumière est bleutée, et où dans l'ensemble le rire est banni — ou alors mesuré.
Je me sens coupable de snobisme, de la recherche d'un certain standing et d'un certain confort, alors que ces lieux chaleureux sont tellement plus accueillants. Dans le même temps je sais que je n'y appartiens pas ou plus, par mes goûts et mes aspirations, par mon look et mes fringues.

C'est sans doute inévitable.

Durant les deux heures de ma présence, je verrai défiler des clients qui sont des amis, des prises de rendez-vous qui sont autant de prises de nouvelles, toujours bruyantes, toujours expansives, toujours joyeuses ou rassurantes.
Je sais que si les deux coiffeurs ont des créneaux disponibles, je retournerai plutôt dans l'autre, comme à Moret nous allons plus volontiers à Fontainebleau qu'à Montereau. Et la question est: pourquoi? Parce que j'ai envie de calme? Parce que cela correspond davantage à un statut social?
Je n'aime pas ce que je sens en moi, parce qu'il y a un certain malaise à souhaiter quelque chose que je tourne si souvent en dérision chez les autres.