Billets pour la catégorie 2008 :

Soirée

- 17h30 : j'arrive à Roissy. L'avion pour Hambourg qui doit partir à 18h40 est déjà affiché "départ retardé". A 18h05, nous remettons ma fille aux hôtesses. Comme elle est mineure, nous devons attendre le décollage de l'avion avant de quitter l'aéroport. Les cartes postales sont vendues à un prix exagéré, je renonce à écrire à ma grand-mère. (Je déteste qu'on se moque de moi).
L'avion part à 19h40, sans explication. Je suis agacée.

- 20h45 : théâtre de Vanves, projection privée d'un film très réussi sur le travail de Jean-Paul Marcheschi, avec un texte mesuré qui ouvre des horizons et tisse des liens. «La plupart d'entre nous, nous ne vivons que très peu durant notre vie.».
Reste à savoir comment il sera diffusé.

- 22h45 : Restaurant aux Halles avec deux couples d'amis. J'ai l'impression d'être la vedette féminine d'un de ces repas de Journal de Travers et j'ai envie de rire. L'un des participants semble sorti tout droit des illustrations de Pierre Joubert.

- A pied jusqu'à gare de Lyon. Je n'ai pas d'écharpe, pas le courage de prendre un vélib. Il faudra que j'étudie les horaires des Noctambus. 1h50. Le car passe à 2h30. Il ne fait pas encore trop froid dans Paris, à Yerres, les vitres de la voiture sont couvertes de givre. J'espère que le rosier nain n'a pas gelé.

Coluche, l'histoire d'un mec

Les critiques sont mitigées, et je pense comprendre pourquoi: ceux qui vont voir ce film en pensant rire pendant deux heures devant des sketches doivent être très déçus. Ceux qui connaissent l'histoire de Coluche (et qui supportent le personnage, mais dans le cas contraire, pourquoi aller voir un tel film?) sont tristes. Ce film ne leur apprend rien mais leur rappelle beaucoup de choses.

Ce film est un déclencheur de nostalgie. Je ne sais pas ce que peuvent y comprendre les trentenaires, les vingtenaires. Je repense à l'époque qui s'annonçait en 1980, dix à quinze ans de Reagan/Thatcher/Mitterrand/Jean-Paul II. La compagnie créole chante «T'es OK, t'es bath», Georges Marchais donne des interviews (je n'avais jamais vu Marchais à la télévision... je l'ai vu pour la première fois ce soir. Je vivais dans une famille un peu bizarre, pas de sexe, pas de politique, pas de films en noir et blanc, pas de films sous-titrés, pas de westerns, du sport, «t'as fait tes devoirs?» (et la réponse était toujours oui même quand c'était faux), et c'était tout), les postes de radio sont énormes, les lunettes aussi. Je n'avais jamais écouté un sketch de Coluche à la maison (trop vulgaire (plus tard, quand il animerait une émission sur Europe 1, je l'entendrais en revanche chaque fois que je serais dans la cuisine: ma mère n'écoute qu'Europe 1 («parce qu'on écoutait obligatoirement RTL chez moi quand j'étais petite» (Moralité j'écoutais RTL, Les grosses têtes et Julien Lepers... tout cela est tellement prévisible)))), mais j'avais une copine qui les connaissait par cœur, Coluche, Renaud, Magdane, Balavoine, un peu Desproges, que le monde était étroit et l'horizon resserré. (Coluche sur Europe 1, c'était le plus souvent insupportable de vulgarité. Il s'est passé pour Coluche la même chose que pour les Guignols de l'info: j'ai eu la chance de ne pas l'écouter en direct, mais de n'en connaître que les moments les plus pertinents, les phrases les plus justes, sélectionnés par mes amis.)

Je me souviens de Jean-Louis disant dans les écuries, alors qu'on lui apprenait la grève de la faim de Coluche, «Coluche fait la grève de la faim? Mais non, il est au régime», je me souviens de la façon dont j'ai appris l'élection de Mitterrand, assise sur un seau dans le hangar à bateau après une régate, attendant que mes parents viennent me chercher, je me souviens de la mort de Coluche, de la rumeur qui a couru (était-ce vraiment un accident?) et du disque de Renaud. Souvent je me dis qu'il manque aujourd'hui un œil aussi vif, un esprit aussi prompt à saisir et saisir l'essence d'une situation. Je me demande ce qu'il l'aurait pensé des émeutes de 2005 ou d' Entre les murs, par exemple. Il ne faisait pas spécialement dans le politiquement correct. En tout cas, il se serait bien moqué des "cinq fruits et légumes par jour" sous la pub Coca zéro imitant James Bond, et ça m'aurait fait du bien. Personnellement, il me manque davantage que Philippe Muray.

En regardant le film, l'accueil que les petites gens dans les villes touchées par le chômage (1,5 million de chômeurs, c'était effrayant et ça fait rêver) réservait à Coluche, je me dis qu'il ne faut pas chercher loin ceux qui ont voté Le Pen en 2002: on ne peut pas éternellement désespérer et Billancourt, et Longwy, et Saint-Etienne, et...
Coluche, Le Pen, Bayrou : le système est à la recherche d'une possibilité de fonctionner autrement, mais il est trop bien verrouillé. Est-ce un bien, est-ce un mal?

Le film se termine sur une allusion aux Restos du cœur. Quelques minutes avant, je venais de dire à H.: «J'ai beau savoir que c'est injuste, pour moi Mitterrand, c'est l'apparition des SDF». (Ç'avait été l'un de mes étonnements de retour du Maroc à huit ans: il n'y avait pas de mendiants. Etaient-ils enfermés? Dix ans plus tard, j'avais ma réponse.)

Hier: deux approches de la lecture

Midi

Le livre est sur la table.
— Qu'est-ce que c'est?... Ah, c'est en anglais...
— Oh, c'est un policier. C'est le seul auteur de policiers que je lis encore, j'achète toujours ses nouveautés.
— Ah, tant mieux si c'est un policier.
— Pourquoi?
— Eh bien, parce que c'est gros: un policier, on s'ennuie moins.
— Vous savez, il y a longtemps que je ne lis plus de livres ennuyeux. C'est fini ce temps-là, je n'ai plus le temps. Quand un livre m'ennuie, j'en prends un autre.


Soir

— Tu veux un livre?
Je me penche pour voir les titres que j'ai à portée de main... Un petit et un plus gros Melville, Cocorico et Le grand escroc, Stevenson...
— Tu veux un petit livre? (Je pense à Bartleby, mais il est au rez-de-chaussée). Et puis non, toi tu préfère les gros livres, les trucs bien massifs, je crois.
— Oui, les petits livres, c'est souvent plus difficile, il faut plus réfléchir.

Soir de colère

J'évite d'écrire quand je suis en colère. Ou alors, il faut que je trouve un sujet autre.

Alors je me mets sur mon clavier, je fais un tour chez Bienbienbien, à partir de quoi je glisse ici, puis je joue à Splash[1], et ça va mieux.

Et je me souviens qu'internet m'a sauver.

Notes

[1] Plus généralement (mais je suis comme les enfants, je joue toujours à la même chose).

Collages

Petit déjeuner. Machinalement je fredonne: «Ce petit chemin, qui sent la noisette,...».
O., dix ans, et C., seize ans, relèvent brutalement la tête et me regardent avec ahurissement:
— Comment tu connais ça, toi?

Je les regarde interloquée mais déjà en train de rire intérieurement, comme à chaque fois que ces jeunots découvrent qu'une chose qu'ils pensaient leur être réservée (qu'il étaient seuls à connaître et pouvoir comprendre) fait partie du patrimoine commun depuis des générations.
H. entre à ce moment-là dans la cuisine.
— Dis-moi, «Ce petit chemin, qui sent la noisette,...», c'est de qui?
— Maurice Chevalier, non?

Je me tourne vers mes lascars: — Et pour vous, c'est quoi?
— C'est la chanson d'un nain barde qui se promène dans un RPG.
H. intervient, incrédule:
— Un quoi?
— RPG, un "role playing game".
— Tu sais ce que c'est, un RPG 7?
— Euh... Un bazooka?


Oscar Wilde pensait que la réalité copiait l'art, Proust a écrit que nous ne voyions plus le même ciel depuis les impressionnistes. Depuis que je vois un peu plus de tableaux et d'expositions, il me vient à l'idée, en regardant les couloirs du métro et en écoutant les conversations, que la constatation continue de s'appliquer: la vie continue de copier l'art, mais nous sommes passés au pop-art, au ready-made, au collage, aux nouveaux réalistes, que sais-je encore.

Un automne sous le signe de la plomberie

Ce soir, descendre à la lueur d'une lampe torche les quelques marches de l'échelle pour atteindre le compteur d'eau dans la fosse sous les thuyas. Mémoriser les chiffres: 43869743 (quatre noirs, quatre rouges).

Ne plus faire couler d'eau (chasse d'eau, douche, verre de minuit), d'ici demain.

Renouveler demain le périple sous les thuyas, mais cette fois dans la rosée du matin.

S'apercevoir (probablement, je vous tiens au courant) que le compteur a tourné, qu'il y a une fuite.

Pickpocket de Robert Bresson

Avant:
— Tu vas voir quoi?
Pickpocket, de Robert Bresson.
— C'est bien? C'est quoi?
— Je ne sais pas. Un truc psychologique, je suppose.
— Aaah, un truc sanguinolant.

Après:
— Alors, qu'est-ce que tu en penses? Ça t'a plu?
— Euh...
(Et de parler pour dire un peu n'importe quoi de peur que mon silence fasse peur, alors que "aimer ou pas aimer" n'est pas vraiment la question).

Le film commence par un texte qui nous résume en quatre phrases l'histoire et la fin: c'est le rachat du pécheur, c'est Raskolnikoff, c'est le jeu du chat et de la souris, c'est l'amour d'une jeune fille.
Cela étant posé, il ne reste plus qu'à regarder comment nous allons parvenir à cette fin attendue. C'est un phénomène que j'ai déjà observé: connaître la fin d'un film ou d'un livre ne diminue en rien le suspense, mais déplace la curiosité du spectateur (ou du lecteur): il ne s'agit plus de savoir ce qui va arriver, mais comment cela va arriver, autrement dit, la curiosité devient attentive aux structures, aux mécanismes du développement du récit.
Ici, il n'y aura pas à proprement parler de progression vers la fin. L'histoire avance et se répète, Michel est pickpocket par volonté et ne souhaite pas changer. Images noires et blanches, presque des dessins ou des photographies, fixité des regard et agilité des mains, la caméra devient main, remplace les doigts, gros plans, tension. Paris 1959, les Parisiens, les Parisiennes, la mode, les voitures, un arrière-plan que le cinéaste n'imaginait sans doute pas devenir si précieux, témoignage d'une époque. Images géométriques, des rectangles, valises, tables, pieds de table, le lit, les portefeuilles, camaïeux de gris.
Il n'y a d'explications de rien, aucun lien entre les événements. Michel décide puis agit, il veut vouloir et prouve qu'il veut en agissant, alors que tout son aspect extérieur ne trahit que pusillanimité: il s'agit d'être courageux contre soi, de faire.

Ce n'est que lorsqu'il décidera de devenir honnête qu'il faillira, et ce n'est qu'alors qu'il sera arrêté: ce dernier vol ne répond plus aux mêmes motivations que les précédents, il n'est pas la transformation en acte d'une volonté, mais au contraire une soumission à la passion du vol, malgré l'avertissement de la raison (l'homme qu'il s'apprête à dépouiller lui montre ses gains gagnés à la course précédente. C'est étrange, se dit Michel, ce n'est pourtant pas le cheval gagnant qu'il avait joué).
Le triomphe final de l'amour, brutal, sans réelle progression, fait penser à l'abandon qu'un animal sauvage ferait de ses défenses, condescendant à être apprivoisé. C'est l'acceptation d'un lâcher prise, l'acceptation de sa propre vulnérabilité.

C'est un film étrange. Dostoïevski voulait peindre les mouvements de l'âme, Bresson a rendu compte du mystère de soi-même pour soi-même: la volonté de Michel et Michel paraissent deux entités différentes.

Emplettes

Assisté à l'essayage d'une dizaine de jeans, d'une poignée de manteaux, de quelques pulls.
Marché des heures dans la foule et le bruit.
Je suis vannée. Tant pis pour la remarque pétillante censée égailler un blog.

Quelques pluriels

H. contemple la feuille sur laquelle il vient d'écrire quelques mots.

— Ça ne va pas?
— Non, je me demandais juste s'il fallait un s à pied.
— Et alors?
— Alors non, des doigts de pied, sans s.
— Ça dépend combien il y a de doigts. A partir de six, il faut un s. Deux doigts de pied, sans s; six doigts de pieds, s. Si tu mets un s à deux doigts de pieds, on sait tout de suite qu'il s'agit d'un orteil par pied.

Silence.
— D'ailleurs, quatre fers à cheval, cinq fers à chevaux.

Symétrie

Il était une fois deux frères, H. et F., qui épousèrent chacun une femme (sans lien de parenté) ayant chacune une sœur qui eurent chacune deux filles.
Les belles-mères de H. et de F. avaient de nombreux traits de caractères en commun, dont une tendance à prédire le pire et à s'épanouir dans le malheur: leur annonciez-vous que vous étiez heureux, elles se renfrognaient, on les voyait penser «tout cela ne présage rien de bon», tandis que leur annoncer une contrariété ou un drame provoquait leur compassion et leur aide — d'une remarquable efficacité d'ailleurs, soulignons-le.

Les belles-sœurs de H. et F. (les sœurs de leurs femmes) épousèrent l'homme de leur rêve: l'une un sportif blond aux yeux bleus, l'autre (pharmacienne) un médecin qui reprenait le cabinet familial.
Le sportif, terriblement égoïste et parfaitement infantile, délaissa sa femme et ses filles pour aller courir un peu plus d'Ironman qu'il n'était raisonnable (auparavant, il avait tout de même réussi à user les cartilages de son jeune berger allemand à force de le faire courir). Plus grave, le médecin roue sa femme de coups, et comme celle-ci a demandé le divorce, il tente de la faire interner en asile psychiatrique.

Quelles règles déduire de ce shéma? Des règles sociologiques ou psychologiques? Les femmes morbides ayant deux filles en auront une heureuse en amour, l'autre malheureuse? L'atmosphère chaleureuse dans laquelle H. et F. ont baigné les a-t-elle poussé "naturellement" à s'amouracher de femmes potentiellement peu équilibrées (et à les tirer de l'ambiance morbide dans laquelle elles avaient grandi)? Que vont devenir les quatre nièces? Répèteront-elles l'étrange schéma (une heureuse, une malheureuse, deux à deux?), observera-t-on encore des effets de symétrie à la génération suivante?

Deux jours

Hier plombier.
Aujourd'hui marché, soupe au potiron, futur lapin aux pruneaux.
C'est à peu près tout. Même pas eu le temps de faire la sieste.
Il n'y a plus de bière potable au frigo (que de la blanche, une espèce de truc sans corps).
Hier soir, assisté à une représentation de chorale pour faire plaisir à un ancien collègue.
Ce soir, regardé Les choristes, pour faire plaisir à ma fille.
Tout cela présente une certaine cohérence.

Les billets et commentaires du blog Alice du fromage sont utilisables sous licence Creatives Commons : citation de la source, pas d'utilisation commerciale ni de modification.