Il a plu toute la journée. Les déménageurs sont impressionnants d'efficacité. Il y a le grand réservé et souriant, le typé Amérique du sud que j'ai honte d'entendre les autres l'appeler Pikachu et autres surnoms au racisme qui s'ignore, le râleur spécialiste du démontage de meubles et le dernier qui m'a dit à ma grande fierté: «j'vous aime bien, vous avez de l'humour».

Ils ont emporté cent dix cartons sur nos cent trente-trois, vidé le dernier étage, une chambre et quasi l'autre.



Pour ceux qui se souviennent.


J'ai eu honte de leur imposer mes kilos de livres.
Le râleur: — Moi les livres j'les porte, alors les lire… Vous savez qu'il existe des livres modernes sur tablette?
— Oui, je sais. Mais ce que je lis est ancien et souvent particulier, c'est rare que ce soit digitalisé.
— Mais non, tout est sur informatique maintenant.

Un autre ou le même a remarqué «SAS» ou «San-Antonio» sur certains cartons:
— On en lit un ou deux ou deux et puis on les jette. Vous, je suis sûr que vous avez la collection.

Ou encore: — Vous avez beaucoup de choses. Mais pourquoi trois écrans puisque vous zêtes que deux?

Un peu étonnée malgré tout de leur liberté de ton et leur jugement sur et devant des gens qui sont après tout leurs clients.

J'ai passé l'après-midi à redouter qu'ils ne se tuent dans les escaliers dont l'un n'a pas de rampe vers l'intérieur (le râleur: «c'est pas aux normes») et l'autre de simples barres au-dessus du vide où glisser et passer en dessous signifierait une chute de deux étages sur le carrelage.

Le loft ne leur plaît pas. Incompréhension totale. Ils sont persuadés que nous aurons vite envie/besoin de pièces fermées.