5h51. Je ne peux pas me rendormir. Pas de wifi dans la chambre (bizarrerie: wifi gratuit dans le hall, quatorze dollars dans la chambre), je tape hors ligne, on verra plus tard.

Hier 2 août.

Les enfants ont dormi plus tard que je ne l'aurai cru. L'hôtel est au cœur de Manhattan. Sorti avec H. Impression de se trouver dans un film, le décor est tellement connu. Après les soucoupes de ''Men in black'' aperçues hier du taxi, c'est le square de l'un des Bourne (l'adresse codée qu'il donne à Pam) que nous rencontrons par hasard (quartier Tudor). Grand Central Station, je suis étonnée par la constellation au plafond, H. la connaît par ''Kapax'', je reconnais le décor d'une flashmob vue sur Youtube. C'est un peu comme partir à la recherche de souvenirs qu'on n'aurait pas vécus: aucun dépaysement et aucune impression de réalité. L'odeur est étrange, celle d'une chaleur étouffée, ça ressemble à la pomme de terre cuite à la vapeur.

Perdu un peu de temps dans la matinée à attendre Déborah (la jeune Allemande qui a passé trois mois chez nous en 2010 et qui va rester avec nous pendant le reste du voyage). Puis direction Central Park, à pied. Début d'une longue errance. (Non, nous n'errons pas, nous savons où nous allons et il est très simple de se repérer. "Ce que je veux dire, c'est que" nous n'avons aucune notion des distances (finalement, la seule façon de connaître véritablement l'échelle d'une carte est de marcher, j'ai l'impression que d'une ville à l'autre deux cents mètres ne représentent pas la même fatigue)). Il fait très chaud (30°? +32, diviser par 5, il me semble (oui, bon l'iphone doit pouvoir le faire, mais c'est plus amusant comme ça)). Nez en l'air à apercevoir le faîte des immeubles. Il y a du monde, mais les trottoirs et les rues sont si larges que cela ne donne aucune impression de précipitation. Peut-être parce que c'est l'été, peut-être à cause du péage pour entrer dans cette partie de Manhattan (ou dans tout Manhattan? aucune idée), il n'y a pas d'embouteillage. Fluide. Je suis frappée par le niveau sonore, je l'appellerai presque du silence. Les bruits se dissolvent dans l'espace (le volume de l'espace entre les immeubles, la formidable aération de cette île ouverte sur la mer par tranches, rue après rue (d'est en ouest: les rues; du nord au sud, les avenues). Même sans vent, même avec la chaleur accumulée par le goudron, l'air ne stagne pas tout à fait. Les bruits ne se concentrent pas). (Et pourtant, dans la chambre au 41e étage, ce qui frappe, c'est le bruit incessant, la rumeur de la rue, des travaux, du vent, de la clim. Paradoxe.)
Saint Barth. Est-ce l'église de L'Avocat du diable?

Central Park, trop grand, nous voulons atteindre le Met, la troupe est un peu découragée par la distance et la chaleur. Là encore, quel silence dans ce parc, tranquillité, écureuils gris, statue d'Alice in Wonderland, inévitablement.
Déjeuner à la cafétéria du Met, au sous-sol. Les assiettes se paient au poids, quelle exactitude (je suis pour).

Nous avons trois heures pour visiter le musée avant sa fermeture, nous avons choisi nos impératifs: impressionnisme pour H. et l'aile américaine pour moi. Nous confions la carte à O. qui aura acquis à la fin de la journée une aisance impressionnante dans cet immense musée sur deux étages, une mezzanine et un "grenier poutres apparentes" (reconstitution d'intérieurs coloniaux, très beaux. Le seul endroit où je verrai la pancarte aborrhée "ne pas toucher" sur un lit et un berceau).
Le classement/regroupement dans ce musée ne va pas de soi, nous trouverons des Matisse ou des Picasso à trois endroits très éloignés (le premier je ne sais pas, le deuxième dans Europe fin du XIXe début du XXe, le troisième dans les contemporains et les modernes), c'est comme si les conservateurs s'étaient dit qu'ainsi, même le visiteur distrait arriverait bien à en voir un ou deux.

Quiétude de ce musée, ombres en croisillons dans les patios, silence malgré un public nombreux, impression d'un musée réconcilié avec ses visiteurs, belle lumière d'après-midi et éclairage naturel, explications près de chaque tableau, le sujet, le contexte de la peinture (dans le sens sujet du tableau et geste de peindre), toujours et uniquement en anglais, mais normalisées, se présentant toujours sous la même forme, un beau travail systématique très utile.






Je repère un très beau Brueghel l'ancien sur la moisson (j'aime beaucoup Brueghel (et je me demande pourquoi ce sont les tristes scènes d'hiver que l'on retient surtout)), tombe par hasard sur Orion aveugle (il est là! une photo! (j'ai hérité de l'appareil de ma fille qui a un mode "musée", sans flash et sans bruit. Whaouh, ça c'est pensé (le mode qu'il me faut pour le métro. D'ailleurs, il y aurait une belle galerie de portraits à faire avec les têtes des gardiens de ce musée, toujours très particulières dans leur forme ou leur expression))), des Manet que je ne connaissais pas sur la corrida. Je rencontre par hasard dans une petite salle où des fraises (fruits) dans l'encadrement de la porte ont attiré mon attention des Vermeer dont un avec des bleus somptueux (Vermeer que nous reviendrons voir en fin de visite à la demande de Déborah qui les cherche, abandonnant H. et A., épuisés, à la cafétéria).

A traverser le musée de long en large pour atteindre ce que nous voulons voir et ce que nous avons oublié de voir, nous avons ainsi une bonne vision des collections du Moyen-Âge et de la Renaissance. Mais d'où viennent ces tableaux, ces statues? En Europe, c'est facile, pillage, héritage, mariage, mais ici? Achetés, offerts par des donateurs (une gigantesque fresque italienne représentant Saint Christophe: donation!).
— Mais c'est incroyable. Qu'est-ce qu'ils sont riches, qu'est-ce qu'ils étaient riches.
— Tu sais sur quoi s'est construite cette richesse…
— Non.
— Sur l'esclavage.
Hum. J'ai mes doutes mais je me tais. Je pense surtout au travail et au courage de cette nation pour laquelle j'ai beaucoup d'admiration. Mais bon. Une explication n'exclut pas l'autre. Et dans les salles traversées, la reconstitution de salons XVIIIe siècle doit beaucoup aux riches familles anglaises, c'est certain (je reconnais ailleurs une copie de Louis XV enfant rencontrée à Versailles il y a quelques semaines. Je n'approfondis pas dans quel cadre elle se trouve là (reconstitution d'un intérieur français?)

Si je venais souvent au Met, je passerai beaucoup de temps dans l'aile américaine. Je ne connais presque personne à part Wilson Homer et Sargent, mais j'aime cet endroit, cette poursuite d'art qui copie l'Europe (un peintre pastiche très visiblement Renoir) et finira par produire totalement autre chose, Rauschenberg ou Jasper Johns. Je tombe en arrêt devant les œuvres d'un sculpteur, Augustus Saint-Gaudens.

Le musée ferme à cinq heures et demie, nous sommes mis dehors manu militari à cinq heures et quart, même la boutique de "souvenirs" est fermée, mince, mes cartes postales!
Goûter au Pain quotidien (est-ce que ça vaut vraiment la peine de venir si loin pour retrouver ce que j'ai fréquenté en haut de la rue Montorgueil en 2003? Ça me fait rire.), le serveur pas bête et sans doute rendu prudent par la nullité en calcul mental de ses contemporains a ajouté au stylo bille ce que représente quinze et vingt pour cent de la note, afin que nous puissions choisir ce que nous lui laisserons puisque le service n'est pas compris.
Le fond sonore est de la musique classique, mais trop forte, et les conversations se mettent à monter. Pour la première fois de la journée, je retrouve le niveau de bruit de Paris.

Métro, un peu de repos (soins des pieds, changement de chaussures!), métro, quartier chinois et Little Italy.
Quartier chinois: ah oui, quand même. Quand je pense qu'on se plaint de l'arabisation de Saint-Denis. Ici, même Mac Donald est sous-titré en chinois. Les immeubles sont plus bas, le soleil se couche (crépuscule que par des jeux de lumière on ne sait pas bien attribuer à notre droite ou notre gauche), de gros sacs poubelles s'entassent sur les trottoirs (il ne doit pas y avoir de chiens errants. Pas de rats, de mouettes, de goélands? (non, à part les moineaux et les canards de Central Park, pas vu d'oiseaux)). New York pue, elle pue la chaleur et les poubelles, et aussi, par endroits, l'odeur forte d'une trop grande quantité de viande crue (y aurait-il des frigos, des bouchers, en sous-sol?) La chaleur, c'est aussi celle des milliers de climatiseurs dont les cubes blancs débordent des fenêtres, c'est une chaleur qui malaxe les odeurs des appartements et des boutiques.

Dîner à Mulberry street (quartier de la Huchette, en gros, pour ce qui est de l'animation). Pensée joyeuse pour Matoo quand le serveur nous propose du poivre. La clim est si forte que nous gelons tout le repas, les filles ne savent plus comment se couvrir.
— Je n'aurais pas dû me mettre en short.
— Je te rappelle que dehors il ne fait pas tout à fait la même température.

Le métro est plus bruyant le soir, et si les quais font vraiment leur âge, les rames sont propres. Avec leur banc unique le long des fenêtres, elles sont conçues pour favoriser la circulation des gens (et non le fait qu'ils soient assis).
Ce métro est davantage un RER ou un train, puisque plusieurs lignes empruntent les mêmes quais.