Billets qui ont 'Berlin' comme ville.

A chacun son dirty secret

Série Netflix, Dogs of Berlin. VO en allemand (j'ai essayé le sous-titrage allemand, mais je ne tiens pas longtemps). Très violent et très noir, avec une dilection pour les gros plans sur les blessures gore (mais l'image ne dure qu'une à deux secondes).
L'équivalent du quai des Orfèvres est très inattendu, un côté soucoupe volante graffittée.

Entretien d'embauche :
— Dites-moi un secret qu'on ne dit pas normalement en entretien d'embauche.
— Je suis hôtesse pour téléphone rose. Ça me permet de travailler à domicile.

Et je me dis que mon secret serait «j'étudie la théologie» ou «je suis (ou j'ai été) spécialiste du RC littéraire».

Vieillir

Sur FB ce matin. C'est tellement ça. Comme le temps est immobile.


«Dans deux ans, 1990 sera passé depuis trente ans. Quand je pense "il y a trente ans", je pense à 1970.»


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(Pour moi, le plus bizarre a été de tomber sur la phrase : « le mur de Berlin est détruit depuis plus longtemps qu'il n'a existé ».)

Berlin dans le brouillard

A six heures la tour de la télévision a disparu. Seule la base émerge vaguement du brouillard. A huit heures l'orage gronde au loin et la pluie bat les fenêtres. A dix heures la vue est dégagée et nous quittons l'hôtel avec l'intention d'aller prendre notre petit déjeuner (voire un brunch vu l'heure) au Sony-Center au Kaisersaal repéré la veille.
Las, pour une raison incompréhensible (dimanche ? mais il y a écrit täglich sur la pancarte, täglich, 10 Uhr) ce café est fermé. Une recherche Yelp plus tard (nous sommes le 23, jour impair, à moi de décider ce qu'on fait lorsque nous sommes dans l'indécision) j'ai trouvé le "Panorama", café en haut d'un immeuble qui domine le Sony-Center. Peut-être est-ce lui dont j'ai cherché la trace hier ?

Nous arrivons à onze heures affamés dans un café qui est un café berlinois : que des gâteaux, pas l'omelette dont je rêvais, pas de pain ou de beurre ou de confiture. J'étudie la carte et découvre planquées en dernière page des boulettes au curry et des boulettes berlinoises (j'ai lu je ne sais où que la Currywurst est une invention de 1949, en des temps de disette. A notre grand amusement il existe un musée de la Currywurst à quelques centaines de mètres de la PostdamerPlatz, il faudra y faire un tour un jour).
Nous commandons au garçon narquois deux capuccinos et deux boulettes — puis une Badoit, ce qui lui paraît plus normal — puis une part de forêt noire et de streusel aux cerises (Kirsch-Streusel : une tarte aux cerises recouverte de crumble) que nous mangeons en buvant les cappucinos, ce qui le rassure tout à fait.
Entretemps, les deux serveurs auront eu la gentillesse de laisser s'installer deux pères et trois fillettes entre deux et cinq ans venues ici manger leurs donuts achetés ailleurs (je n'aurais pas parié trois kopecks qu'ils les auraient autorisés à le faire).
Nous finissons notre repas, montons d'un étage et faisons lentement le tour de l'esplanade en commentant l'horizon, essayant d'imaginer la bande du no man's land : le mur côté ouest est matérialisé sur les pavés de la place, mais le mur côté est, où se trouvait-il ? Tel immeuble, quel âge a-t-il ?

Nous repartons, direction Sans souci, avec une première erreur puisque nous partons plutôt vers le sud-est avec un objectif indiqué à quatre kilomètres : est-ce un quartier ? Cette direction est bizarre. Nous précisons à Waze "château Sans souci" : c'est à trente-sept kilomètres au sud-ouest, ce qui est beaucoup plus logique. (Note pour moi-même : c'est de ce moment que date nous aurons bloqué le nord sur Waze, ce qui oblige à se projeter sur la carte en conduisant au lieu de simplement calquer la direction indiquée, mais permet de se situer dans l'espace.)
Les conducteurs berlinois sont d'une impatience qui frise la grossièreté. Malheur à l'hésitant ou au rêveur : klaxon, dépassement par la droite ou la gauche avec moue exaspérée (je m'en fiche, je suis passager en décapotable, je leur fais de grands gestes de clown par-dessus le toit en leur tirant la langue. Non mais, on est dimanche, ils ne sont pas à quatre secondes près (et nous sommes en vacances, et pas eux, ils sont juste jaloux)). Est-ce parce que les feux rouges sont très longs et les feux verts très courts ? Evidemment, il y a au moins trois séries de feux, pour les vélos, les piétons, les voitures, qui vont tout droit ou tournent à gauche ou à droite…

Château de Sans-Souci. Disons-le tout de suite, c'est une merveille. L'accueil est rébarbatif, il y a beaucoup de monde, j'ai été désagréablement impressionnée par la tentative à l'entrée de nous vendre une carte du parc du type de celles que l'on trouve gratuitement partout ailleurs, suffisamment agacée pour ne pas prendre de billet pour visiter l'ensemble des châteaux et bâtiments du parc.
Nous sommes arrivés par l'arrière du château et les colonnades et à notre habitude nous nous sommes spontanément éloignés de la foule, nous enfonçant sous les arbres. Il faisait très bon, les flaques prouvaient que l'orage avait également éclaté ici plus tôt, nous étions à peu près seuls. Nous avons suivi les bâtiments de l'orangerie, attirés par des photos de l'intérieur nous avons pris deux billets. Ici tout le monde était gentil et souriant ; il fallut mettre d'énormes chaussons de feutres à l'entrée de la première pièce (j'appris à O. qu'il fallait glisser style patineur : ainsi non seulement nous n'abîmions pas le parquet, mais nous contribuions à son entretien), à notre arrivée les gardiens se levaient de leurs chaises comme pour nous accueillir et les pièces étaient magnifiques, de grands cubes meublées avec unité. La pièce centrale de l'orangerie est dite "salon Raphaël" et abrite la plus grande collection de copies de Raphaël au monde.

Belvédère : fermé, montée des escaliers interdite. Par les fenêtres nous contemplons des photos montrant l'état désastreux du bâtiment (je pense à Castel del Monte à la fin du XIXe siècle), mais quand ? fin de la guerre, années 1980 ?

Nous repartons vers le nouveau château. Prairies, corneilles mantelées. Château ouvert malgré les travaux mais nous n'avons pas le temps, Charlottenhof, pavillon chinois (et doré), ce parc est immense, retour devant le château, devant les fantastiques terrasses aux figuiers enfermés chacun dans leur serre personnelle.

Pas le temps, pas le temps. Il faudra revenir, Reichstag et Sans-souci, les prochains objectifs berlinois. Postdam, recherche de glaces, achat de sandwiches, départ. L'auberge de jeunesse nous a demandé de donner notre heure d'arrivée, O. est chargé d'écrire en allemand. Pessimiste je conseille "arrivée entre neuf et dix heures", optimiste il écrit "arrivée aux alentours de neuf heures".

Quatre heures de route puisque nous ne prenons pas l'autoroute, les nuages font leur show (j'aurai découvert durant ce voyage que le relief, la végétation et l'habitat ne sont pas les seuls à constituer le paysage, les nuages le font tout aussi bien), campagne, bouleaux, arbres parfois énormes, maisons de briques rouges encastrées entre des colombages formant des carrés d'environ un mètre d'arête. Champs, forêts, prairies, peu de présence humaine ou animale, si cen'est des éoliennes. J'essaie de deviner l'ancienne frontière est-ouest, je ne vois rien, ne sais rien voir. Tout au plus y a-t-il davantage de villages à l'aspect plus citadins, moins campagnards, au fur à mesure que nous avançons vers l'ouest. Nous écoutons la fin des podcasts sur la correspondance de Raymond Chandler (parfois très caustique) et commençons la série consacrée à Jack London. Sentiment de liberté à pleurer de joie à rouler dans le soir entre les bouleaux au son d'une balade irlandaise.

Nous nous sommes arrêtés dix minutes pour manger nos sandwiches et changer de conducteur. Le soir tombe, nous traversons Celle, l'auberge de jeunesse est à l'écart, petite, en bois bleu.
Nous roulons décapotés : pas de doute, c'est bien une odeur de porcherie qui vient d'envahir nos narines. Je me mets à rire, à rire devant cette absurdité qui consiste à passer ses vacances près d'une porcherie ; à rire navrée pour ces gens qui viennent ici pour échapper à leur HLM et se retrouvent à côté d'une porcherie (bien contents de retourner dans leur HLM finalement), O. m'achève en me rappelant l'un des chapitres du livre écrit par le voisin de Thomas Bernhard qui s'opposait à la construction d'une porcherie par l'auteur.
J'aime les odeurs de la ferme, mais la porcherie et le poulailler sont les deux odeurs insupportables.

Nous descendons nos bagages, arrivons dans le hall. Des familles jouent aux cartes ou au mikado, personne ne croise notre regard ni ne nous sourit ni ne nous dit bonsoir ("hallo").
C'est alors que le réceptionniste derrière le comptoir, type paysan bourru entre quarante et soixante ans, commence à nous faire la leçon sur le thème "il est neuf heures vingt, vous aviez dit neuf heures, je devrais être chez moi". Le côté instituteur réprimandant un gosse de huit ans m'insupporte, après tout je suis un client et je paie un service, à la grande gêne d'Olivier la moutarde me monte au nez et je commence à expliquer dans mon sabir "wir können gehen", que s'il n'est pas content nous pouvons partir, « ich bin nicht a kind, a child », je mélange les langues, « es ist an Auto, nicht a Bahn », je ne suis pas sûre que ce soit le mot pour train. Olivier hyper gêné explique que le mail aurait dû préciser qu'il y avait une heure limite, nous l'aurions respectée (ce qui est vrai), j'explique que c'est la première fois que nous avons un problème de ce type, je lâche le nom de Dresdes, il répond que c'est dans un autre Land (intéressant : les règles seraient établies par Land ?). Il s'est radouci, il est devenu à peu près normal, sans que je sache si c'est à cause de la perspective d'avoir attendu pour rien, ou celle de perdre le prix des chambres, ou s'il fait partie de ces personnes qui ne vous respectent que si vous leur résistez.

Il prend les draps, nous montre nos chambres. Quatre lits superposés, mais nous sommes seuls dans la chambre. Il faut faire son ménage avant de partir et c'est plus cher qu'à Dresdes. Conclusion : ne prendre que des auberges de jeunesse sur hihostels. Pas étonnant que celle-ci n'y soit pas référencée.

Berlin sous la pluie

Réveillée une première fois à six heures, il fait grand jour derrière les volets occultants.
Levée à sept heures dix, il faut que je blogue, je ne m’en sortirai pas. Pas de connexion, je tape dans TextEdit la journée d'hier. O. a l’intention d’acheter du wifi ce soir.
J’ai des courbatures dans les jambes et le haut du dos.
Je laisse dormir O. jusqu'à huit heures et demie. Je découvre un peu tard (pas fait attention hier, pas compris) que les petits déjeuners sont à dix-neuf euros. Je sais bien que c'est une façon pour l'hôtel de compenser le prix des chambres, mais tout de même. Demain nous irons ailleurs.
Les billets pour Pergame sont à onze heures, nous y arrivons un peu à l'avance, toujours à vélo.

Le musée est en travaux depuis plusieurs années. L'entrée actuelle est une catastrophe : elle fait arriver directement devant la porte d'Ishtar sans la progression à travers l'allée. Cela casse toute la mise en scène grandiose. J'en suis déçue pour O. que j'entraîne au pas de course à travers les salles parallèles afin de lui faire emprunter les salles "dans le bon sens" : remonter l'allée des lions pour arriver devant la porte. J'espère qu'il aura eu le choc malgré tout devant cette splendeur.

Porte de Milet, étage sur l'art islamique. Autant les cartouches et panneaux à l'étage inférieure semblent dater de plusieurs années, peut-être d'avant 1989 puisqu'ils sont entièrement en allemand (le musée a sans doute préféré miser sur les audio-guides qui permettent d'écouter en regardant et non lire puis regarder (ce qui par ailleurs diminue le temps passé dans chaque salle)), autant à cet étage tout a été mis à jour récemment, certaines références datant de 2015 : des cartes montrent les emplacements initiaux des objets exposés et expliquent ce qui a été détruit par Daesh ou la guerre en Syrie.
La muséographie profite de la vidéo et de la reconstruction trois D : ce ne sont plus des maquettes que l'on expose comme pour la porte d'Ishtar ou la ville de Milet, mais des animations qui reconstruisent les bâtiments sous vos yeux. Il n'est plus nécessaire d'avoir beaucoup d'imagination, il suffit de regarder.
Les murs offrent un gigantesque cours d'histoire concernant la succession des dynasties, Omeyyades, Abassides, Samanides, etc. Le brouillage des frontières culturelles est mis en avant, notamment dans les échanges avec l'Orient : est présenté l'exemple de la faïence blanche chinoise pauvrement imitée par la civilisation islamique, mais décorée par elle de motifs bleus, idée reprise par les Chinois qui intègre le bleu à leur décoration.
Certains endroits n'existent plus désormais, mosquée de Damas, maisons d'Alep. Les voleurs d'antiquité ont peut-être rendus service à l'humanité (réflexion personnelle et non du musée !).

L'exposition temporaire porte sur la tradition biblique dans le monde islamique. De magnifiques miniatures montrent la façon dont les artistes indiens ont repris des motifs chrétiens (madone, anges, etc). Au-delà de l'iconographie sont présentées les Eglises orientales et la transmission des textes en copte, arménien, syriaque… (Je fais remarquer à O. la multiplicité des caractères en plomb nécessaires qui ont fait plus tard la renommée des imprimeries de Venise.) Le musée a sorti ses plus vieux manuscrits qui sont de véritables trésors et je contemple avec émotion une Bible du IVe siècle, parmi les plus vieux textes matériellement découverts (le miracle des manuscrits de la Mer morte, ce n'est pas leur texte mais leur existence matérielle aujourd'hui).
Là encore, l'accent est mis sur l'interpénétration continuelle des cultures. Il est possible de vivre ensemble puisque cela a eu lieu dans le passé (et a produit de telles œuvres d'art) : cela n'est pas écrit en toutes lettres mais cela doit être déduit de l'exposition.
J'achète le catalogue de l'exposition non dans une visée culturelle ou artistique : les données présentées ici peuvent m'être utiles en exégèse.

Je voulais déjeuner au Sony-Center. Je ne sais plus où, dans une feuille de chou gratuite en allemand destinée aux étudiants, j'avais lu qu'il y avait un café dans les étages du Sony-Center (« Des étages sur une place ? Mais qu'est-ce que tu veux dire ? ») Cela a-t-il été vrai il y a quatre ans je ne sais, mais quoi qu'il en soit nous n'avons rien trouvé de la sorte. Nous avons déjeuné d'une soupe et d'une tranche de foie sur la place elle-même ; nous nous sommes abrités de la pluie commençante dans la librairie du cinéma (achat de partitions de films, oui oui) ; nous avons profité d'une éclaircie pour reprendre nos vélos et aller chercher les chopes à Checkpoint Charlie, pédalant avec allégresse sous l'averse hésitante.
Le temps d'attacher nos vélos et l'orage se déchaînait : refuge sous l'auvent du musée du mur (que les gardiens soient remerciés), à compter les secondes entre les éclairs et le tonnerre (deux à six cents mètres), à contempler les stratégies de chacun, une famille debout sur la table du bistrot pour protéger sandales et basketts du déluge, une jeune fille refusant de mettre sa veste en jean encore un peu sèche puisque celle-ci était nouée autour de sa taille car le tissu du jean appuie sur le tissu de la chemise trempée et que la sensation est glacée.
Dix minutes, quinze minutes, plus ?

Nous courrons sous la pluie jusqu'au magasin du musée, achetons nos six chopes, reprenons les vélos après avoir quémandé des serviettes de table pour en essuyer les selles (la pluie a cessé).
Passage à la voiture, dépôt des verres, récupération de mon cirée et de mes bottes (la pluie a repris) ; passage à l'hôtel, habits secs et dix minutes de sieste, nous ressortons ; la pluie est faible ; passage dans un grand magasin pour acheter un k-way à O.

L'idée est d'aller vers le sud, au bord du Landwehrkanal selon les conseils de Jérémy. Vélo, la pluie s'est arrêtée, monumentale Strausbergerplatz et ses quatre immeubles en sentinelle, église St Michael à la nef détruite et bétonnée (Michaelkirche. Au retour nous découvrirons qu'il y a un café en contrebas du parapet, au bord d'une pièce d'eau), quartier turc.
Ankelklause à l'angle du Kottbusserbrück, apéro et dîner sous la véranda dans une impression d'Amsterdam. Une femme dépose un sac à dos qui me paraît très intéressant. Quatre jeunes Françaises remplacent une Allemande qui lisait Die Zeit (« Pas Emily Dickinson mais Ingeborg Bachmann »).

Nous rentrons (contrainte du vélo à vingt heures trente, toujours. Mais pourquoi si tôt ?) J'aurais bien tenté le Reichstag, mais il faut soit ressortir la voiture, soit y aller à pied. Ce soir ce sera soirée wifi. J'ai l'espoir de rattrapper mon retard sur le blog, mais le temps de traiter mes mails, d'organiser les jours à venir (quel bonheur des musées qui savent utiliser les e-billets. Back to the modernity, l'Allemagne et l'Autriche, c'est la misère. Plus de billet pour le musée Anne Franck pour les deux semaines à venir !) et de faire quelques vérifications de référence sur internet et je m'endors.

Berlin au soleil

Je réveille O. à huit heures et demie. (Il m’assurera plus tard qu’il ne dormait pas.) Comme d’habitude, il nous faudra deux heures pour être prêts à quitter l’hôtel. Je prends le temps de pointer les dépenses de carte bleue, ce que je n’ai pas fait depuis le début du voyage. C’est une façon comme une autre d’avoir une trace de nos déplacements (après tout, « journal », c’est d’abord comptable), mais ce n’est pas exhaustif puisque nous payons souvent en liquide, entre les commerçants qui ne prennent pas la carte et mes problèmes de plafond.
Petit déjeuner très fourni, beaucoup de monde (trente-cinq étages de trente-quatre chambres). Le café est pré-disposé sur les tables dans des thermos argentées, j’en bois une quasi entière. Le beurre est débité par une machine qui en fournit des rondelles. Le grille-pain est sur le modèle de Vienne, au désespoir d’O. (mais il accepte tous les types de pain — mais il est très lent).
Durant le petit déjeuner, pendant qu’O. termine toutes ses tartines (« rappelle-moi de ne plus prendre de ce pain », en désignant un pain piqueté de graines de tournesol) je réserve une nuit en auberge de jeunesse à Celle, cette fois-ci en passant par jugendherberge.de repéré à Dresdes (Hihostels.com ne permet pas de réserver pour Celle. En d’autres termes, il y a plus d’auberges de jeunesse en Allemagne que ne le montre la carte de hihostels). Pas d’auberge à Amsterdam, ce sera l’hôtel, un peu à l’écart du centre, ce qui je l’espère permettra d’éviter le plus bruyant de la foule.

Location de vélos à la conciergerie de l’hôtel (vieux souhait : me promener à vélo dans Berlin). Ce sont des vélos hollandais : une seule poignée de frein à gauche, tourner les pédales à contresens permet de freiner. C'est à peu près comme de passer d'une boîte manuelle à une automatique ou l'inverse : je ne m’y habituerai pas de la journée, donnant (voulant donner) un quart de coup de pédale en arrière dans les descentes avant de partir en roue libre (afin de mettre les deux pédales au même niveau) et donc freinant brusquement — et surtout n’arrivant pas à m’arrêter sans à-coup, brusquant le dos d’une secousse brutale à chaque fois.
Le guidon très haut permet de pédaler le dos quasi droit ce qui est près confortable.

Comme je n’ai pas réussi à comprendre si les billets pour le musée Pergame devaient s’imprimer ou pouvaient se charger sur téléphone, je n’ai rien acheté en ligne. Nous y passons, trop de monde, sans doute une heure de queue. Nous partons, nous verrons demain.
Beaucoup de monde dans les rues. Devant l’université Humboldt, je pense à Cerisy. Quel merveilleux dîner le dimanche en revenant du mont St-Michel avec Ugo Perone, professeur à Humboldt, et sa femme, italiens, qui nous racontaient des histoires de famille et des anecdotes.

Nous pédalons jusqu'à la porte de Bandebourg. Je présente à O. « Unter den Linden » (quelqu’un qui ne lit pas n’a pas cette satisfaction poétique qui consiste à faire coïncider la vie avec les récits), je lui explique la façon dont l’ensemble des bâtiments ont été reconstruits dans les mêmes volumes qu’avant 1940, combien cela est frappant sur les photos : pas le même style, mais le même encombrement pour l’oeil, longueur, largeur, hauteur. C’est une solution très satisfaisante pour l’intellect: reconstruire à l’identique aurait consisté à effacer les périodes de guerres chaude et froide, reconstruire différemment aussi. Le compromis trouvé est une merveille d’équilibre entre la mémoire et la volonté de se tourner vers l’avenir.
Je lui montre la verrière du Reichstag. J’aimerais y monter un jour, mais là encore la queue est importante, ce ne sera sans doute pas pour cette fois. (En fait je l'apprendrai demain, c'est gratuit mais il faut s'inscrire en ligne ou se présenter au guichet du Service d’accueil des visiteurs du Bundestag. Je ne sais pas à quoi correspondait la queue, peut-être au temps de fouilles).

Nous tournons un peu dans le Tiergarten. Nous sommes à la recherche du monument aux Juifs assassinés dont j’ai parlé à O. à Prague et que j’ai découvert en 2010 sans m’y attarder. Dans ma mémoire il était dans le prolongement de la porte de Brandebourg ou du Reichstag, ce qui est faux (il est au sud de la porte). De même, j’avais dit à O. que chaque bloc représentait une ville et que sa taille était proportionnelle au nombre de morts de cette ville, ce qui est une construction de mon esprit, sans doute influencé par le mémorial de Treblinka tel que je le connais à travers le film Shoah.
Nous nous enfonçons entre les blocs, le sol ondule, certains blocs ont bougé et ne sont plus exactement verticaux. C’est un labyrinthe aux angles droits. Sentiment d’oppression et d’infinité : c’est très réussi.

Vélo dans Tiergarten, direction Charlottenbourg. Parc (forêt) chaque fois que nous le pouvons. Nous suivons le Landwehrkanal, la température est idéale, nous sommes quasi seuls, des personnes mangent sur les bancs en regardant l’eau, c’est la pause-déjeuner.

Achat des billets (très fort ces Berlinois: il faut payer pour prendre des photos. Faire payer le wifi et le droit de prendre des photos, ça c'est du commerce !), déjeuner rapide en face, visite du château. Les explications historiques sont mieux organisées qu’à Schönbrunn. Pas d’allusion à Voltaire. Je prends conscience de l’animosité ancestrale entre la Prusse et l'Autriche (alors que je considérais les deux pays comme un seul bloc dans l’empire germanique), ce qui donne d’autres nuances à l’Anschluss : quels étaient les réels sentiments de la population autrichienne en 1938 ? Y a-t-il eu une importante résistance intérieure, psychologique ou armée ? Ou le ressentiment de la première guerre mondiale avait-il annihilé l’ancien sentiment de rivalité ? Je suis décidément une bille en histoire.
C’est ici que se trouve le tableau de David montrant Bonaparte au col de St Bernard, c’est ici aussi que se trouve le portrait de Frédéric II par Pesne.

Vélo dans le parc (mais pas dans les jardins baroques, c’est interdit), Belvédère (j’achète deux étuis à lunettes en tissu à motif de paons: cela prend moins de place que l’énorme boîtier Guess pour mes lunettes de soleil), mausolée. Je suis impressionnée par l’effort de reconstruction, de préservation et de reconstruction de l’Etat depuis 1945. C’est admirable : sont-ce les alliés qui ont travaillé à cela à l'origine pour se différencier de l'est, est-ce une volonté de l'Etat fédéral dès l'origine ? En d'autres termes, si l'Allemagne n'avait pas été divisée, un tel effort aurait-il été mené ?

Nous quittons le parc, direction l’ouest. Nous pédalons longtemps, O. comme poisson-pilote. Je lui ai confié la mission de trouvé la maison de Boenhoffer. De temps en temps O. s’arrête, consulte son téléphone, remonte sur mon vélo. La route monte insensiblement, O. a cent mètres d’avance, il fait chaud. Au ras de la station Heerstrasse, il tourne dans un dédale de petites rues appelées allee (les noms se terminent par allee. Il s’agit d’un quartier de grosses maisons bourgeoises et de petits jardins magnifiquement fleuris. C’est très calme. Les petits pavés à la pragoise ne secouent pas les vélos. La maison de Boenhoffer au 43 est la dernière de la Marienallee, contre le domaine de ce qui paraît être un ensemble d’immeubles bas posé sdans un parc boisé. Il y a une plaque sur la façade qui évoque Boenhoffer, son frère et ses beaux-frères.

Nous repartons droit vers l’est. Trottoirs des avenues jusqu’au Tiergarten, Tiergarten, retour devant le monument de la Shoah, direction Postdamerplatz, musée Checkpoint Charlie que je veux montrer à O.
J’y étais venue en 1997, il s’est beaucoup agrandi. Les deux étages et quatre ou cinq salles de mon souvenir se sont transformés en un dédale sur trois étages, bourrés d’information sur les évolutions diplomatiques durant la guerre froide. Le musée y perd un peu de son émotion, quand tout était focalisé sur les inventions folles et l’audace des solutions trouvées, sur les dangers encourus et le désir dévorant de passer à l’ouest.
Aujourd’hui c’est plutôt les tensions internationales qui sont mises en scène, les incidents diplomatiques, les manifestations, les reculades (de l'ouest). Ou peut-être n’est-ce que mon ressenti à la poursuite de souvenirs qui n’existent plus.

Magasin de souvenirs du musée. Nous avons repéré des chopes (un peu grandes à mon avis, des demi-litres alors que les bouteilles ne font qu’un tiers) que nous voulons ramener à la maison où nous manquons de verres à bière. La caissière ouvre des yeux ronds : six chopes ? Elle n’a jamais vu ça. Elle appelle ses collègues, ils n’ont pas de quoi nous les envelopper pour un transport à vélo. Il faudra repasser demain.

Nous rentrons juste à temps pour rendre les vélos à huit heures et demie. Nous profitons de la conciergerie pour réserver nos billets pour le musée Pergame demain. Nous dînons au Schlögl’s comme hier, cette fois-ci de la spécialité de la maison (un plat pour deux: une boulette, une escalope viennoise, une currywürst par personne, choucroute, chou, pommes sautées. La serveuse trouve ce plat pour deux « romantique ». Ils sont fous ces Berlinois). O. boit trois-quart de litre de bière, je suis sûre qu’il ne surfera pas longtemps ce soir sur son ordinateur.

Projets

J'ai réservé des places pour Aïda demain soir, parce que l'affiche dans le métro m'avait plu. Et emportée par l'élan, je me suis abonnée pour la saison 2016-2017: l'année prochaine, sans le grec (enfin, juste la "lecture suivie", une fois par mois), mon emploi du temps devrait être plus léger. J'ai abandonné l'espoir d'emmener H., l'expérience prouve qu'il est impossible de caler nos emplois du temps. Je n'ai pris qu'une seule place, sachant déjà qu'il m'en voudra parfois, les soirs où il sera là (à la maison) et qu'il aurait aimé venir, les soirs où il sera là et qu'il désapprouvera mon choix («Vraiment, ça te plaît?»)

D'autre part j'ai vérifié les horaires d'allemand à l'IPT: le mardi après-midi. Et j'ai alors découvert ce programme (p.19): des weeks-ends de visite de Paris, Rome, Londres, Berlin, Athènes sous un angle biblique (??) avec en accompagnatrice ma prof de grec 3. Engagez-vous rengagez-vous, qu'ils disaient. Ça me tente, j'ai retenu les dates, mêmes si là, c'est quasiment la guerre que je déclare à la maison. (On verra bien. Je préfère qu'il m'en veuille que lui en vouloir. Je préfère la culpabilité à la rancune.)

Et j'ai commandé mes billets de train pour Marseille: randonnée la Bonne Mère, aviron de mer.

Volubilis

A Berlin, le musée Emil Nolde vendait des graines des fleurs du jardin du peintre. J'en ai rapporté à ma mère et j'en ai planté.

Ça me fait plaisir de les voir matin et soir.


Consolation berlinoise

Je suis toujours un peu embarrassée de raconter mes aventures de RER, parce que ce n'est pas un sujet, et j'ai le faut pas s'plaignier de ma grand-mère polonaise dans l'oreille (et puis se plaindre de ce qu'on ne peut pas changer, hein, à quoi bon (et de ce qu'on peut changer... Bref)).

Jeudi dernier
- Aller, ligne D, accident dans la partie nord de la ligne, trains supprimés. Je laisse passer un train, trop bondé pour pouvoir y monter.
- Retour, ligne A, accident sur l'est de la ligne. Trains immobilisés. Je prends la ligne 1 (j'y rencontre Matoo). Ligne 1 arrêtée, des personnes sont descendues sur les voies, l'électricité a été coupée.

Vendredi dernier
- Panne de réveil, préparation en quatrième vitesse, à l'heure sur le quai du RER D, trains supprimés (je ne sais plus pourquoi).

Mardi
- Aller : la pagaille, trains supprimés, pluie et feuilles mortes, je songe à Philippe[s] nous expliquant que si les roues patinent et se bloquent, l'arc de cercle devient droite et la roue (les roues) n'est plus ronde... Dans le premier train je parviens à faire monter A. (remords et tristesse de la voir dans cette galère que je ne peux lui éviter), dans le deuxième je laisse monter H. qui a une réunion. Je prends le troisième, quasi-vide alors que les deux précédents étaient archi-bondés. Hélas, des pipelettes s'installent à côté de moi et malgré ma boule quiès je ne peux ni lire ni dormir.
Gare de Lyon, problèmes de RER A. Je prends la ligne 1, bondée, sans réussir à m'assoir alors que je l'emprunte pratiquement sur toute sa longueur. Quand je descends sur le quai à La Défense, j'entends une annonce: «l'accident de matériel est terminé, le trafic reprend normalement.»
- Le soir, RER D gare de Lyon, 19h38. Il y a plus de monde sur le quai que normal, je suppose qu'un train a été supprimé. Le train qui arrive à quai est un train court, soit trois ou quatre wagons de moins que la normale!! Qu'on m'amène la triple andouille qui a décidé ça, que je l'étripe. Précipitation sur les wagons déjà pleins, entassement incroyable, odeur suffoquante de crasse due à la pluie et aux vêtements mouillés, les gens sont excédés, ils veulent monter dans ce train trop court, ils ne savent pas quand et si il y en aura un autre (une partie des voyageurs est pauvre, habitants de Villeneuve-Saint-Georges coincée entre la Nationale, Orly et la gare de marchandise. Ils n'ont pas de solution de rechange.)
Inquiétude, ma fille n'est pas rentrée, son téléphone ne répond pas (elle avait cours jusqu'à 19h30; elle arrivera à 21h passées, comme une fleur, en expliquant qu'elle a discuté avec le prof. Well...)

Aujourd'hui
- Matin: ligne désorganisée suite à la panne d'un train entre Châtelet et gare du Nord, le train 8h06 est supprimé. Le suivant passe à 13, j'arrive à le prendre. A., partie de son côté avec des amies, me dira le soir qu'elle a pris le suivant (deux minutes de retard au lycée).
- Soir: un train, à l'heure (19h18), à quai gare de Lyon, quasi-vide. Je suis joie et gratitude. Bon, le wagon n'est pas chauffé, mais on ne peut pas tout avoir non plus.




Quand nous étions à Berlin, j'avais trouvé une carte postale qui posait la question:
— Quels sont les plus grands ennemis de la Deutsche Bahn (SNCF allemande) ?
Réponse:
— Le printemps, l'été, l'automne, l'hiver.

Cela m'avait fait rire et étrangement rassérénée.

Berlin

Autel de Pergame. Soudain il me paraît évident que quelque chose nous échappe irrémédiablement, quelque chose est hors de notre portée: nous ne croyons plus en ces dieux, nous ne savons même plus qui ils sont, que ressentons-nous réellement devant ces sculptures magnifiques de détails et de puissance? Elles ne sont plus que des statues entrées dans le jugement esthétique (Souvent dans les églises je me demande ce que voient et sentent les incroyants.)

Porte d'Ishtar, porte du marché de Millet, façade de Mschatta, je préfère sans doute ses deux dernières œuvres parce que je ne m'y attendais pas. Monuments dédiés à des dieux ou destinés à impressionner le voyageur; à deux pas de là, Postdamerplatz, bâtiments célébrant le capitalisme et l'occident. C'est amusant l'architecture.

Nous achetons un vrai plan de Berlin (autre que celui du guide vert ou celui aimablement donné avec notre abonnement au métro) et comprenons enfin pourquoi nous sommes épuisés: l'échelle n'est pas du tout celle de Paris, nous avons réellement beaucoup marché hier.

Douceur du temps, magnifiques frondaisons rousses et or, glace à la cerise, Das Schloss, le musée du cinéma allemand est fermé le lundi.


Pour des raisons à peu près inexplicables et un peu par hasard, nous échouons à la nuit tombée dans la basilique catholique de Berlin, qui semble être, je le découvre à l'instant, une église de garnison (???). Toutes les affiches sont rédigées en polonais.
Dans la cour se tient une statue cachée par l'obscurité que j'ai réussie à trouver en photo.

Berlin

Rues larges, peu de monde. Il n'y a plus les énormes tuyaux baubourguiens qui nous avaient tant étonnés en 1997. Je me rends compte à quel point Paris me fatigue, combien je fais une overdose de foule. Kilomètres nous aurions dû prendre un vélo, Reichstag plus d'une heure de queue, non finalement non, «Berlin était la ville des cafés, comme Paris», une impression d'années 20, je sais que c'est moi qui projette, pratiquement au sens propre, qui transpose sur chaque image d'autres images, 1920, 1945, 1962, les images n'en finissent pas de se superposer. Je confonds tout, porte de Brandebourg et Alexanderplatz et Potsdamerplatz, nous aurions dû prendre un vélo, ambassades, synagogues, administrations municipales, régionales, fédérales, pas de policier, les photos de Kennedy, les deux cimetières juifs (en fait c'était le deuxième que je voulais voir), Hackesche Höfe, suite de cours recommandée par Gv (que répondrais-je à quelqu'un qui me demanderait que voir à Paris en deux jours? La cour du Palais Royal, sans doute, la donation Carlos Beistegui au Louvre et ? tenter d'entrer dans la bibliothèque Mazarine ou la bibliothèque historique de la ville de Paris? Je ne sais pas), une vitrine emplie de machines à coudre Singer, Checkpointcharlie le musée, Gendarmenplatz (Louis XIV aurait quand même dû se douter qu'il faisait une conn** quand les Berlinois sont venus courtiser les protestants suite à la révocation de l'Edit de Nantes), une soupe de lentilles, la serveuse m'apporte spontanément une petite (minuscule) bière, je pense que c'est à cause de mon âge car les jeunes filles ont droit à des versions pour hommes, musée Nolde, topographie de la terreur, le Mur longeait/coupait les quartiers généraux de la Gestapo, nous errons parmi les photos des bourreaux qui se photographient joyeusement. Sony Center, j'aime le Sony Center. Avoir eu une capitale occidentale à construire à la fin du XXe siècle, quelle aubaine pour les architectes.
Nous essayons de dîner dans le restaurant prussien qui avait été si aimable en 1997, mais il est devenu à la mode dans le quartier chic de la ville: pas de table sans réservation.


Mahler à Berlin

Virée express à Berlin invitée par Gvgvsse à la deuxième Symphonie de Mahler par Simon Rattle. (Très) heureuse d'être là, à cause de l'invitation impromptue, miraculeuse, à cause de la grisaille secouée, à cause du bel automne, de la couleur des feuilles, de la douceur de l'air, de la Philharmonie bouton d'or, de Gv qui m'explique: «Quand Karajan a choisi cet endroit on lui a dit qu'il était fou, que c'était loin de tout; il a répondu: "un jour, ce sera au centre"». Interloquée, j'objecte que c'était un sacré pari malgré tout, qui aurait pu prédire cela? Réponse catégorique, royale: «Il ne savait pas que cela surviendrait si vite, mais c'était inéluctable: quel empire a vécu mille ans?»

Gv me donne quelques indications: l'œuvre de Schönberg jouée tout d'abord, la Seconde Symphonie directement enchaînée, le chœur déjà présent dans la salle, les fanfares jouées dans le lointain, des coulisses...
Je n'ose pas vraiment parler de musique, je me sens empêtrée dans les mots, un vocabulaire que je ne maîtrise pas. Je parlerais d'une atmosphère intime, la grande salle close comme une enclave protégée tandis que mon manque d'habitude me fait perdre régulièrement la musique que je cherche des yeux tandis qu'elle voyage d'instruments en instruments. Peut-être qu'il serait plus sage de carrément fermer les yeux, mais ce serait tout de même dommage, il n'en est pas question. Plaisir et surprise des contrastes de volumes et de timbres, de la musique infime à tonitruante, du son qui enfle et se tait, douceur du chant de la fin.
Ovation, standing ovation, Simon Rattle, les solistes Magdalena Kožená et Kate Royal et le récitant de Schönberg Hanns Zischler reviennent saluer. Devant moi, un vieux monsieur en tricot gris et une vieille dame en rouge descendent laborieusement les marches un bouquet de roses blanches à la main. Je pense qu'ils souhaitaient l'offrir à Magdalena Kožená mais ils sont trop âgés, ils marchent trop lentement, elle a quitté la scène quand ils arrivent devant. Ils attendent, elle ne revient pas, ils confient leurs fleurs à Simon Rattle.
La salle continue d'applaudir, les musiciens quittent leurs places, Simon Rattle revient, salue, se retourne vers les chaises vides et les associe aux applaudissements d'un geste de la main, tout le monde rit.
C'est fini.

Tandis que je balbutie quelques mots d'admiration, Gv commente sobrement : «Ce n'est jamais que le meilleur orchestre du monde... je me suis dis que si c'était ton premier concert Mahler, autant que ce ne soit pas par un orchestre de second ordre.» En moi quelque chose sourit d'une oreille à l'autre, amusée et gaie: oui évidemment, vu comme ça...

Dehors, Gv m'explique comment sont dirigés les musiciens des fanfares en coulisse. Il me raconte une anecdote survenue lors de la Seconde Symphonie donnée par Pierre Boulez pour ses 80 ans (anecdote que je viens de retrouver dans son blog) et le lien Mahler-Klemperer. Je pense que je ne l'oublierai plus.

A quelque chose le malheur est bon

Une fois n'est pas coutume, je suis plutôt contente des Français, ou plutôt deux ou trois fois. Mon poste d'observation est un peu particulier, puisque c'est internet (j'ai remplacé le rideau soulevé à la fenêtre dans les villages par les blogs et twitter), mais il me semble valable, car il enregistre la même impertinence que celle entendue le matin aux comptoirs des cafés tandis que cadres et postiers succèdent peu à peu aux ouvriers du BTP arrivés plus tôt.

1/ Au moment de l'hypothétique nomination de Jean Sarkozy à la tête de l'Epad, puis surtout au moment de la fable de Nicolas Sarkozy à Berlin le 9 novembre 1989, la blogosphère et twitter ont éclaté de rire, ridiculisant "les puissants" dans une sorte de liesse populaire qui m'évoquait les pamphlets et les refrains circulant à d'autres époques dans Paris.

2/ La lamentable victoire des Bleus contre l'Irlande plongent les vrais supporters dans la consternation, et cela me rassure. Là encore, cette consternation se traduit par le rire et les jeux de mots (de mains, de vilains).

Deux paires de mitaines

Il y a vingt ans, je tricotais une paire de mitaines bleu turquoise pour mon amie Jacqueline. Je peux dater ce moment parce que je me revoie dans la chambre d'hôtel à Strasbourg où j'ai passé trois mois en formation, envoyée là par mon entreprise (les vingt ans de la chute du mur du Berlin, mes vingt ans de salariat... mais mon point de repère (pour le salariat) est plutôt la proclamation de la république hongroise en octobre 1989... Tien Anmen avait été réprimé en juin, je n'en reviens pas de ces journalistes/analystes politiques qui viennent nous expliquer que la chute du mur était prévisible... nous songions à Tien Anmen. Je regardais la télé dans des chambres d'hôtel, en octobre ce n'était pas encore Strasbourg mais Périgueux...)

Il y a cinq ans, aujourd'hui ou le 16 ou le 17, je ne sais plus, j'apprenais la mort de Jacqueline.
J'avais tricoté une autre paire de mitaines, rouge, pour F., quelques temps auparavant. F., dont je n'ai plus de nouvelles.

Pierre Louÿs en tirerait la conclusion qu'il est dangereux de tricoter des mitaines pour ses amies.
Heureusement, je n'en ai jamais plus tricoté.

La Vie des autres

Zvezdo, Phersu, Matoo, avaient écrit sur ce film… Seul le billet de Matoo est encore accessible huit ans plus tard.

Je m'attendais donc à ce que ce soit bien, mais cela m'a plu au-delà de mes attentes, je suis vraiment contente d'avoir pu voir ce film en salle. Bien sûr qu'on peut l'accuser d'être idéaliste, mais c'est justement ce qui fait du bien. Ce film réussit le tour de force d'être triste (tout le monde a les yeux rouges en sortant de la salle) et de vous laisser réconfortés. C'est une rare performance.

Le reste du billet tient du spoiler.
(Visiblement la fonction qui permet de cacher la suite du billet en mettant un lien "Lire la suite..." a dû être désactivée la dernière fois que le code de ce blog a été bidouillé. Tant pis).

Mon moment préféré est sans doute le dialogue avec le petit garçon dans l'ascenseur:
— C'est vrai que tu es de la Stasi?
— Tu sais ce que c'est, la Stasi?
— C'est des méchants qui mettent les gens en prison.
— Je vois. Qui t'a dit ça?
— C'est mon papa.
— Ah. Et comment s'appelle... euh...
— Comment s'appelle qui?
— Ton ballon. Comment s'appelle ton ballon.
— T'es drôle, toi. Ça n'a pas de nom, un ballon.
Pour moi c'est le tournant du film, la fêlure. Et ce petit garçon joue très bien.

J'ai envié le décorateur qui a eu en charge le décor de la chambre d'Albert Jerska.

1984 fait bien sûr penser à 1984. J'ai été frappée que la structure du chantage exercé sur Christa-Maria Sieland soit exactement la même que celui exercé dans 1984: amener à trahir l'être aimé en mettant à jour la peur la plus profonde du sujet. Dans 1984, il s'agit de la peur des rats, dans La Vie des autres, il s'agit de la peur de ne pas remonter sur scène.

Note huit ans après: chez Phersu, de mémoire, quelqu'un avait fait remarquer dans les commentaires que si l'agent de la Stasi avait correctement fait son travail au lieu de chercher à protéger les déserteurs (le mot exact m'échappe), ceux-ci auraient su qu'ils étaient écoutés lorsqu'ils firent un test et rien ne serait arrivé (ou: l'enfer est pavé de bonnes intentions).

J'ai beaucoup aimé les fins successives qui s'emboîtent, donnant une couleur différente au film à chaque fois.
- Si le film s'était arrêté au moment de l'accident de l'actrice ou au moment où Grubitz promet à Wiesler qu'il ouvrira le courrier le reste de sa carrière, il se serait agi d'un film classique dénonçant un régime politique et plus généralement illustrant l'implacabilité du destin, le peu de poids d'un homme face à l'Histoire.
- S'il s'était arrêté sur le visage de Gorbatchev ou au moment où Wiesler apprend la chute du mur, il aurait illustré que «les méchants meurent aussi» et qu'«il y a tout de même une justice, il suffit d'attendre».
- Lorsque le film nous montre Dreyman lisant son dossier, il se fait documentaire, illustrant la façon dont l'Allemagne a choisi vivre avec passé. (Et j'ai pensé à ce vitrail de la cathédrale d'Ulm consacré aux Juifs, montrant tout en bas les déportés destinés à être assassinés).
- En se terminant comme il se termine, il donne une place prépondérante à l'art, mais aussi aussi à la gratitude et à la reconnaissance. C'est sans doute pour cela qu'on se sent aussi bien en sortant, un peu consolés, un peu rassurés.
La dernière réplique est excellente.

En faisant quelques recherches en écrivant ce billet, j'ai découvert le blog eurotopics.
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