Billets qui ont 'Inezgane' comme ville.

Histoires de chats - légendes familiales

Mes parents sont arrivés à Inezgane en septembre 1968, comme coopérants. Ils étaient professeurs de mathématiques et physique. Un jour mon père a ramassé un cadavre de chat sur le bord de la route, l'a attaché à un arbre et l'a dépouillé comme un lapin. Les arabes qui passaient le regardaient avec effarement, qu'allait-il faire, manger le chat?
En réalité il était tout simplement en train de se procurer une peau de chat pour ses cours sur l'électricité statique.
(Je n'ai pas vu cela, ce n'est pas un souvenir. Ce dont je me souviens, c'est mon père en train de raconter cette histoire avec son petit sourire embarrassé d'être le point de mire de la conversation).

L'été nous rentrions en France. La chatte et la chienne restaient à Inezgane, nourries par la fatime (la bonne). Une année, quand nous sommes revenus, la chatte Minouche, une angora de gouttière blanche et noire, souffrait d'une profonde blessure au cou. Après plusieurs semaines à tenter de la soigner, mes parents ont abandonné tout espoir. Leur éducation paysanne les poussait à achever la chatte: on ne laisse pas souffrir un animal.
Mon père a mis la chatte en joue avec la carabine, la chatte l'a regardé droit dans les yeux, mon père n'a pas pu tirer.
Dans la semaine qui a suivi, elle a commencé à guérir.

Hiver 1997. Ma chatte Framboise a un terrible abcès à la joue. Le vétérinaire le crève en trois endroits, fait couler le pus, me confie la bétadine.
Tous les matins je me lève une demi-heure plus tôt. Je prends la chatte, je rouvre les entailles, je fais couler la bétadine dans l'entaille du haut en soulevant la peau afin qu'elle s'évacue par les entailles du bas en entraînant le pus et en nettoyant la plaie. Le vétérinaire m'a dit que certains préféraient laisser mourir leur animal plutôt que faire eux-mêmes ce genre de soins (mais je ne vois pas bien où je prendrais le temps ou l'argent d'emmener la chatte tous les jours chez le vétérinaire).
Ça dure. Au bout d'un mois je n'en peux plus de ce soin à jeun le matin, de l'odeur écœurante de la bétadine, de mon chat qui ne guérit pas, de cette demi-heure prise sur mon sommeil. Je me souviens de Minouche.
Je mets Framboise sur la table, je la regarde dans les yeux: «Je n'arrive plus à te soigner. Maintenant il faut que tu guérisses, je n'y arrive plus.»
Elle a guéri.

Nostalgie

Samedi, classé des papiers avec Out of Africa en fond sonore. Il y a longtemps que je n'ai plus besoin de le regarder, j'en connais les images par cœur. Pourquoi ce film-là ce soir, et ce besoin d'avoir le cœur fendu juste ce soir, en triant des bulletins de notes, des factures et des articles de journaux ?
L'Afrique aura vraiment tout pris à Blixen, c'est une vaincue qui rentre en Europe.
Il me reste cependant un doute sur la véracité de cette biographie. Il faudra que je reprenne dans Vies politiques de Arendt les références du livre écrit par le frère de la baronne (est-ce bien cela ? il me semble que c'est son frère).

Est-ce pour cela que le lendemain, c'est le DVD que papa m'a donné il y a déjà trois ou quatre ans que j'ai regardé, en remplissant je ne sais quels documents administratifs ? Mon père a copié les films super8 familiaux, les films de l'enfance, c'est très flou, cela ne montre à peu près rien à quelqu'un qui ne connaît ni les lieux ni les personnes. Mon père a surtout fait d'excellents choix de fonds sonores, Sydney Bechet s'adaptant si bien aux images que les images semblent suivre la musique par instants.
Je ne savais pas que certains moments, bien plus récents (1981) avaient été filmés.
Pour les plus anciens, 1971 ou 72, les films viennent confirmer l'exactitude confondante de ma mémoire.
Il ne reste rien, ni la maison d'Inezgane (occupée par des militaires), ni la ferme de ma grand-mère (vendue à un maréchal-ferrant), ni ma coéquipière de galère…

Layette

A Inezg*ne vivait Madame Lolmed. C'était une pied-noir d'une soixantaine d'années. C'était chez elle qu'on allait quand on voulait téléphoner en France. À l'autre bout, en France, ma grand-mère n'avait pas non plus le téléphone et allait aussi chez une voisine. Il fallait se donner rendez-vous par courrier, une ou deux semaines avant: à telle heure, tel jour, se tenir près du téléphone.
Pour moi, téléphoner est resté toute une affaire.

Depuis le tremblement de terre d'Agadir dix ans plus tôt, le mari de Mme Lolmed ne dormait plus chez lui. Il couchait sous la tente, dans le jardin.

Mme Lolmed tricotait perpétuellement de la layette. Quand on lui demandait pour qui c'était, elle répondait: «Il naîtra toujours des bébés.»
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