Billets qui ont 'Marseille' comme ville.

Marseille jour 1

Premier petit déjeuner : omelette excellente (je veux dire non frite) ; jus detox, trace du temps, nom donné en 2018 à un jus de citron allongé d'eau.

Porte d'Aix (patisseries orientales prometteuses), Vieux port, hôtel-Dieu devenu hôtel (très harmonieux). J'apprends le nom de l'architecte qui a construit les immeubles du côté nord du Vieux port (Fernand Pouillon), ces immeubles dont j'avais remarqué l'unité en septembre 2016 quand je les avais vus depuis une yole de mer. Nous montons le long de l'hôtel-Dieu devenu hôtel (il faudra venir ici un jour), nous tournons dans le panier. La pierre est rose et blonde et les volets verts et gris, écaillés. Marseille monte et descend, moutonne, c'est ce qui fait les plus belles villes.

Vieille Charité, exposition Picasso, les (ses) voyages imaginaires nourris des voyages de ses amis et de leurs cartes postales et de leurs collections. Des dizaines de cartes postales donc, de plus ou moins bon goût, Cocteau, Leiris, Dali, écrites à la plume ; parfois Picasso répond. Les adresses sont très variées, souvent des hôtels. L'exposition est chronologique et met en avant des intérêts successifs : l'Afrique, Rome et la Grèce, l'Orient de Delacroix, tout en suivant la vie sentimentale du peintre. («— C'est fini? — Non, il doit y avoir encore des salles, il reste des femmes à épouser.») Ce qui me frappe, c'est le travail, la quantité de travail. En 1905, Picasso était déjà suffisamment connu pour qu'Apollinaire écrivît à son sujet.

Les salles ne sont pas contiguës, il faut ressortir sous les arcades, il fait beau, la lumière fait un bien fou après ces mois de gris et de pluie. A la fin de l'exposition j'accompagne Aline voir les collections d'art indien et océanique. Les arbres de vie mexicains donnés par François Reichenbach sont franchement laids malgré le commentaire qui nous appelle à y voir de l'art et non un artisanat (art ou artisanat, c'est hideux), mais les salles africaines, sud-américaines et océaniennes sont impressionnantes (collection de crânes, têtes jivaros (brrr…), masques à base de toile d'araignées,…).

Nous terminons par le groupe de statues picassiennes dans la chapelle, tout à fait à leur place dans ce décor blond et arrondi. Quelques allusions piquantes à la peinture sur assiette de RC, nous sommes les "Cruchons", ceux qui ne comprendront jamais mais regrettent, regrettent…

Nous tournons dans le "panier", quartier de l'ancien Marseille détruit en février 1943 par les Allemands (une plaque a été posée en 2018 ). Descente vers le Mucem, le treillage est en ciment et non en acier comme je le pensais, déjeuner sur le pouce, balade autour du fort St Jean, ambiance heureuse au soleil, flâneries, nous sommes samedi, certains sont allongés sur les terre-pleins qui interrompent le rempart et descendent vers les rochers (« — Ils ne risquent pas de tomber ? — C'est un process darwinien. »), passage dans la cour du roi René (« — Par quelles circonstances le roi René s'est-il retrouvé à Marseille? — C'était le frère de St Louis, il avait un grand nombre de terres… (suivaient des noms que j'ai oubliés) »).

Nous attendons le ferry qui permet de passer sur l'autre quai du Vieux port sans faire le tour (un traghetto marseillais, en quelque sorte). Est-ce là que nous nous demandons si Rimbaud et Conrad se sont rencontrés à Marseille (1874? 1878?)? J'apprends au passage que Rimbaud est allé jusqu'en Indonésie, a déserté à Batavia (non je ne le savais pas. Pour moi c'était l'Erythrée et rien d'autre). Rimbaud est mort dans un hôpital de Marseille mais lequel ? Patrick chasse les plaques. J'ai Pouchkine dans la tête et Cendrars, Blaise, sommes-nous loin de New York ?

Nous montons. Nous montons vers Saint-Victor. Nous montons, nous peinons, nous bitchons, sur Gide et Paul Valéry (si tue-l'amour avec sa cigarette et ses moustaches jaunies, mais apparemment Catherine Pozzi l'était aussi (tue-l'amour)). Saint Victor, les restes de l'abbaye. Devant, un square et justement une plaque Paul Valéry sur le portail d'une maison où il venait voir une amie («— une maîtresse ? »)

Nous resterons longtemps dans la crypte. L'église est construite sur et dans une ancienne carrière, les époques successives ont construit sur les bâtiments antérieurs et comblé la cour, il reste les tombes jumelles de deux martyrs sans doute à l'origine de la dévotion en ce lieu. Les explications sont passablement embrouillées. Il faudrait une maquette 3D hologramme qui permette de superposer les différents sanctuaires. Lors de notre prochaine visite, peut-être.
Nous sommes restés sous terre si longtemps que j'avais oublié qu'il faisait jour et doux.

Boulevard, architecture marseillaise (c'est-à-dire décousue), nous rejoignons le parc du Pharo. Vent, soleil dorant. Beau palais, harmonieux, tourné vers la mer, construit pour Eugénie qui ne l'a jamais habité et a fini par le céder à la ville ou à l'Etat (je ne sais plus).
Nous allons prendre l'apéritif au Sofitel (bar Le Dantès) réputé pour sa vue (règle : tout souhait exprimé suffisamment à l'avance avec suffisamment de précision aura de grandes chances d'être exaucé. En l'occurrence il s'agissait de boire un campari.) Garçons jolis garçons et musique d'ambiance (lounge, me dit Philippe quand je me plains du volume.) Nous racontons des bêtises. La nuit tombe.

Nous allons dîner aux Arcenaulx. La carte des glaces est si littéraire qu'elle en est irrésistible (Le temps retrouvé, sorbet verveine liqueur verveine).



S'en suit un échange sur Belle du Seigneur et un plaidoyer (de ma part) pour Feu pâle (La question avait été posée à déjeuner du Nabokov qu'il fallait lire, et bizarrement, j'avais oublié Feu pâle. Il ne m'en restait que l'impression d'avoir rêvé un titre, mais lequel ?)

En résumé, « à mon avis » « ne sois pas péremptoire », « je suis drôlement sympa, finalement ».

Départ

Conseil d'administration à dix heures, le premier depuis octobre puisque j'étais absente en novembre. Rien de bien neuf. Dix minutes de battement au début car nous attendons un retardataire ; les syndicalistes discutent entre eux de l'opportunité de faire grève contre la réforme de la SNCF.

Je déjeune le midi avec la personne que j'ai remplacée à son poste dans la mutuelle. Nous invitons un représentant du CE qui est seul et que j'aime bien. Il nous raconte son désenchantement à mots couverts, il est en train de négocier son départ en septembre 2019. Pour le mettre à l'aise je tente de lui montrer que je connais un certain nombre d'anecdotes scandaleuses que je raconte à mon tour. Il sourit sans rien dire, ma prédécesseur est stupéfaite.

A cinq heures thé seule au "Train bleu" gare de Lyon (traversée d'une foule compacte en attente de trains vers le sud retardés d'une ou deux heures), puis vers sept heures et demie Prêt à manger ("Pam" pour les intimes) pour acheter des sandwiches pour le voyage, puis à huit heures TGV (à l'heure) pour Marseille avec les Philippes et Laurent. Reconstitution des cruchons.
Deuxième "voyage d'hiver" pour moi : pendant toutes les années où H. était absent la semaine, j'évitais de m'absenter le week-end.

Voyage (ou traversée). Comme Patrick et Aline nous narguent en parlant de leur savoureux dîner à Marseille où ils nous ont précédés, nous décidons d'acheter du vin rouge au bar TGV.
Quelle aventure ! Le four ne fonctionne pas, deux clientes nous précèdent, du type bobo-vegan-plus-plus (je m'y perds dans ces catégories — toujours je pense à Claire Brétecher et son "sucre de gauche"), ce qui nous vaut de savoureuses questions (« Est-ce que les carottes sont de vraies carottes ? » (et moi d'imaginer du fromage teinté recomposé)) C'est long, ça dure, mais pourquoi, que fait le barman, le serveur, le tenancier ? Derrière nous un homme bougonne et se moque de plus en plus fort des deux passagères.

Le barman est très aimable :
— Mais ce vin est froid ! Pouvez-vous nous donner celui de la vitrine ?
— Bien sûr, mais vous savez, il est tellement mauvais qu'il vaut mieux qu'il soit froid.
Je ris, incrédule : — Vous êtes commerçant, vous alors !
— Je suis un peu connaisseur : ce vin a été mélangé, brassé…

Pub : l'hôtel Alex près de la gare St Charles, silencieux, aimable, ouvert toute la nuit.

Marseille

Rendez-vous au club, petit déjeuner. JP m'a apporté la casquette longtemps désirée.

Château d'If, îles du Frioul, baie des singes. Temps idéal, soleil et brise pour la fraîcheur. Cours de rame contre la vague, "en mer le chemin le plus rapide n'est pas le plus court".
Déjeuner au club du Prado. Un tour dans le vieux port, pour le plaisir. Sortie de vingt-huit kilomètres au total.

Pastis avec JP, papotages et ragotages. J'apprends avec stupéfaction que mes compagnes du Jura ont plutôt quarante-cinq ans que trente à trente-cinq ans; avec leurs airs de midinettes dragueuses je n'y aurais jamais cru.
— Oui, elles cherchent le mec.
— Ça j'avais compris! Mais pourquoi elles ne le trouvent pas? B, par exemple, elle est jolie, sympa, intelligente: pourquoi elle ne trouve pas? (Je n'ajoute pas que j'aurais plutôt imaginé les mecs se battre pour elle qu'elle soit obligée de draguer… Mais connaître leur âge change l'angle de vue. Je passe de l'impression "je suis hors jeu, normal elles sont jeunes" à l'impression "elles en sont encore là? les pauvres" (bonjour les préjugés!! je suis nulle. Mais bon.))
— Elle est trop exigeante. Les filles cherchent le mec parfait.
Bon. Peut-être. C'est toujours la même chose, personne ne sait jamais exactement de quoi il est en train de parler: de passer une vie ou quelques semaines avec quelqu'un? Mais le sait-on jamais à l'avance?

Et je pense aux réflexions de Paula Becker sur le mariage à transposer à la vie en couple aujourd'hui:
«[…] L'expérience m'a enseigné que le mariage ne rend pas heureuse. Il ôte l'illusion d'une âme sœur, croyance qui occupait jusque-là tout l'espace. Dans le mariage, le sentiment d'incompréhension redouble. Car toute la vie antérieure au mariage était une recherche de cet espace de compréhension. Est-ce que ce n'est pas mieux ainsi, sans cette illusion, face à face avec une seule grande et solitaire vérité? J'écris ceci dans mon carnet de dépenses, le dimanche de Pâques 1902, assise dans ma cuisine à préparer un roti de veau.»

Marie Darrieussecq, Vivre ici est une splendeur, p.72, P.O.L 2016
JP est l'organisateur de la randonnée. Il adore ça. Il m'explique comment il garantit le bon fonctionnement du groupe, la façon dont il exclut quelques personnes, la façon dont il constitue les équipages. Il se lance: «Toi par exemple, je ne te mets pas avec n'importe qui, tu t'énerves vite. Tu es très à l'écoute, mais tu es trop soupe au lait
Hmm. Rien que je ne sache déjà, mais je lui suis reconnaissante d'avoir le courage de le dire ainsi, et je suis embarrassée d'être source de problèmes.

Une heure de sieste. Soirée au club. E. me conseille Giono plutôt que Pagnol sur Marseille. Ce qui me frappe, c'est combien les gens d'ici aiment leur ville et sont désolés de l'image qu'en donnent les médias.

Marseille

Arrivée à Marseille à une heure, pour ramer demain (pouvu que je ne crame pas: la dernière fois que j'ai ramé en mer (1987!), j'ai eu des brûlures au second degré sur les pommettes — mais je ne ramais jamais, je n'étais pas bronzée).

Sieste à l'hôtel, avec dans les moments de sommeil moins lourds l'impression que mon cœur se noit dans mon sang. Je devrais dormir avec davantage d'oreillers.
Notre-Dame de la Garde par les petites rues (une dame me voit interroger mon téléphone, me demande si je cherche quelque chose: oui, est-il possible de couper à travers les résidences, j'ai l'impression d'être dans une impasse et de devoir rebrousser chemin. Gentiment elle m'ouvre un portail qui permet de couper à travers les immeubles).

Garfield m'avait conseillé "O'2 pointus", "la cantine du CNTL", mais il y avait trop de monde en train de prendre un cocktail en terrasse: sans doute des amis qui fêtaient un événement. Je n'ai pas osé demander s'il y avait une table.

Rentrée à l'hôtel pour écrire (mais j'ai oublié d'acheter des cartes postales et demain ce ne sera sans doute pas possible).

Je suis triste de constater que je n'ai fait aucun progrès depuis l'adolescence dans mes relations avec les gens: je n'ai pas prévenu un ami FB (comprendre: un inconnu avec lequel j'entretiens des conversations publiques et entrecoupées) de mon passage à St Brieuc de peur de le déranger, j'ai prévenu une amie FB de mon passage à Marseille de peur qu'elle me reproche de ne pas l'avoir fait et j'ai dérangé… Tout cela est trop compliqué pour moi.

Couple du XXIe siècle, conversation surprise au restaurant.
Ils sont trois, elle bavarde, lui au téléphone, une amie arrivée en retard.
Elle résume: «Matthieu lui il est content parce que quand il rentre du boulot sa femme lui a fait à manger… Alors il le photographie et le met sur FB — sauf hier: j'ai eu la flemme et j'ai acheté des lasagnes au saumon surgelées.»

Projets

J'ai réservé des places pour Aïda demain soir, parce que l'affiche dans le métro m'avait plu. Et emportée par l'élan, je me suis abonnée pour la saison 2016-2017: l'année prochaine, sans le grec (enfin, juste la "lecture suivie", une fois par mois), mon emploi du temps devrait être plus léger. J'ai abandonné l'espoir d'emmener H., l'expérience prouve qu'il est impossible de caler nos emplois du temps. Je n'ai pris qu'une seule place, sachant déjà qu'il m'en voudra parfois, les soirs où il sera là (à la maison) et qu'il aurait aimé venir, les soirs où il sera là et qu'il désapprouvera mon choix («Vraiment, ça te plaît?»)

D'autre part j'ai vérifié les horaires d'allemand à l'IPT: le mardi après-midi. Et j'ai alors découvert ce programme (p.19): des weeks-ends de visite de Paris, Rome, Londres, Berlin, Athènes sous un angle biblique (??) avec en accompagnatrice ma prof de grec 3. Engagez-vous rengagez-vous, qu'ils disaient. Ça me tente, j'ai retenu les dates, mêmes si là, c'est quasiment la guerre que je déclare à la maison. (On verra bien. Je préfère qu'il m'en veuille que lui en vouloir. Je préfère la culpabilité à la rancune.)

Et j'ai commandé mes billets de train pour Marseille: randonnée la Bonne Mère, aviron de mer.
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