Billets qui ont 'Sisteron' comme ville.

Sisteron dernier jour

Avec le recul, je me dis que cette semaine aura été sous le signe d'une certaine frugalité. L'emploi du temps est très régulier: huit heures et demie petit déjeuner, douche, habillage; dix heures briefing, puis sur la piste pour préparer les planeurs (brancher les batteries, laver les ailes avec la rosée, enlever les housses, régler le siège, mettre le planeur en piste); repas vers midi ou même avant; décollage et sortie jusque six ou sept heures. Apéro, repas, coucher vers neuf heures et demie, au plus tard dix heures. Les repas sont pour la plupart très simples, flocons d'avoine, nouilles asiatiques, omelette, jambon, yaourt, melon, pastèque, fraises.

J'ai mis du temps à comprendre cette régularité. Je suis toujours en train de courir au moment du déjeuner et au moment de monter dans le planeur: je me change, je m'interroge sur le fait de m'habiller chaudement ou pas et tout cela me fait perdre du temps. Personne ne m'attend, personne n'attend jamais personne quand il s'agit de planeur, chacun agit avec détermination vers son but. Donc je cours avec le remord d'être en retard et la crainte que les autres fassent (ou doivent faire) mes tâches.

Largage au-dessus des petites Monges. Nous rejoignons le lac de Serre-Ponçon. En tant que pilote en première place, j'ai la charge de surveiller les parapentes — «pour nous ce sont des points immobiles, nous nous déplaçon à plus de cent kilomètres heure» — mais Pat les voit toujours avant moi. Il doit faire joliment froid avec le vent relatif à deux mille mètres d'altitude directement dans un harnais de parachute.
Pat a l'intention de m'emmener voir les montagnes au-delà de Barcelonnette, il faut donc monter au-delà de trois mille mètres. Nous cerclons — il cercle, car il y a trop de relief ici pour qu'il me laisse piloter.
Nous atteindrons l'altitude souhaitée, mais inutilement: la pluie envahit peu à peu les vallées au nord et à l'est. Impossible d'y aller. Je ne verrai pas les aiguilles de Chambeyron cette année, ni le glacier blanc. Ce sera pour l'année prochaine.

Pat énonce sententieusement: «cela t'apprend le renoncement» (qui n'est pas (seulement) un mot de sagesse antique mais bien un mot de la formation du pilote).

Nous repartons vers le pic de Bure. Depuis le début, c'est Pat qui pilote, à partir de maintenant il va me laisser le manche de façon quasi continue afin que je prenne les ascendances à ma guise. Il a décidé de me faire travailler la conjugaison. De temps en temps il lâche une phrase sybilline du style: «on est près du relief, alors t'as intérêt à surveiller ton fil de laine». (A terre je lui poserai la question: «mais pourquoi faut-il faire davantage attention au fil de laine près du relief? — si tu pars en autorot, tu as moins le temps pour rattraper à cent mètres qu'à mille mètres1.» (Remarque: en réalité, il faut toujours faire attention au fil de laine, c'était une boutade, mais une boutade sérieuse, mes préférées)).

Nous papotons. Je tiens mieux l'assiette de mes virages quand nous discutons de choses frivoles — comme quoi il ne faut pas que je me concentre trop. Toujours la question de pisser en vol revient:
— Bon, tu fais attention, je vais pisser, donc tu as les commandes, ne fais pas de bêtise (ceci alors que nous survolons une crête d'un peu près à mon goût.)
— Non, toi fais attention: imagine si on se plante, on va te retrouver la bite à la main et moi en train de rire; imagine la gueule de la REX.

Une des règles de base revient sans arrêt: «en planeur, la vitesse, c'est la vie». C'est une logique difficile à intégrer (en tout cas par moi): il faut aller plus vite en cas de danger (turbulence, atterrissage délicat, etc), donc perdre de l'altitude alors que c'est justement le sol le danger.

Autre règle de base : il faut sauvegarder l'apéro du soir. «Si tu xxxx, l'apéro du soir est compromis» est une phrase récurrente de Pat, phrase qui me paraît une raison suffisante pour s'appliquer.

Retour, c'était mon dernier vol ici. Ce soir, c'est justement moi qui offre l'apéro.
Pat a invité un couple d'amis. Monsieur, pilote, fait partie de ceux qui ne racontent pas leurs succès mais leurs catastrophes, leurs atterrissages d'urgence pour des raisons parfois futiles. Je suis intérieurement scandalisée qu'il raconte cela devant Madame; cela me semble un manque de tact absolu d'ainsi (potentiellement) effrayer son conjoint, mais elle paraît habituée.

Puis tour au Pegasus où un petit groupe fête l'anniversaire de la secrétaire de l'aérodrome, puis retour sous la tente.
Demain il faudra plier.



Note
1: le fil de laine est un indicateur de dérapé; le dérapé peut entraîner une autorotation du planeur (une vrille).

Vol d'ondes

Il existe trois types d'ascendance: la chaleur dégagée par le sol (les thermiques), le vent qui se heurte à un relief (le vol de pente), et quelque chose que j'avoue ne pas tout à fait comprendre: sous la conjugaison du vent et du relief, l'air se met à osciller selon une sinusoïde et sous la sinusoïde se trouvent des «rotors», des endroits hyper turbulents où le vent tourne en lessiveuse. Si l'on passe au-dessus des rotors, si l'on trouve la sinusoïde et qu'on s'installe au-dessus, on plane dans un grand calme et l'on peut monter à de grandes altitudes.
Ajoutons que les nuages sont les meilleurs indicateurs de ces ascendances: le planeur, c'est avant tout la lecture des nuages.

Marc qui est venu deux ans de suite et est reparti dimanche n'a pas rencontré le phénomène, et moi, au bout de cinq jours, bingo!
J'ai de la chance.

Nous nous équipons contre le froid (on perd 6,5°C tous les mille mètres) et le manque d'oxygène (une canule dans le nez type hôpital dès 3200 mètres). (Test de la bouteille d'oxygène avant de partir: «par sécurité, on teste toujours la bouteille quand on est hors du planeur».)

Nous avons trouvé une onde presque aussitôt; puis plus tard, après avoir été bien secoués au dessus du pic de Bure. Nous sommes montés jusqu'à 4400 mètres et selon AB nous étions à -13°. Bizarrement j'ai eu froid aux coudes, à cause de l'air provenant des palonniers et remontant le long des jambes bien protégées. J'ai pu travailler très calmement — «va tout droit, pas si vite, il faut chercher l'ascendance, sinon tu vas passer à travers; vas-y, tourne» — en faisant attention à ma vitesse car j'ai le défaut d'accélérer dans les spirales. «Le duo discus perd le moins d'altitude à 90km/h.» (La question devient alors: pourquoi ne pas toujours voler à cette vitesse? Je n'ai pas encore élucidé ce mystère, je poserai la question une autre fois.)

A côté de nous la vallée était recouverte d'un épais manteau de nuages. Il devait faire tout à fait noir là-dessous.

nuages sur la vallée à l'ouest du pic de Bure


Atterrissage secouant, rafales au seuil de la piste. Dom prend de la vitesse et se pose comme une plume.

Je me précipite pour manger un yaourt et une tranche de jambon, j'ai une dalle dévorante et j'ai très froid. Et puis il y a l'apéro du club ce soir: je ne veux pas y arriver le ventre vide.

Pluie

Sommeil tourmenté, est-ce le vin rouge de l'apéro ou de m'être fait peur hier pour la première fois? Vers quatre heures du matin j'ai fini par mettre des boules quiès contre les grenouilles. Dormi jusqu'à huit heures, soit neuf heures de sommeil : pas mal du tout.

Hier la pluie était prévue aujourd'hui; je sèche le briefing pour me laver les cheveux et faire une micro-lessive. Comme je suis la seule femme j'ai fini par m'étendre dans la partie sanitaire féminine du camping, j'y laisse ma trousse et ma serviette de toilette, une façon assurée de les oublier à mon départ...
Pluie, nous ne volerons pas aujourd'hui.

Courses, je me lâche sur les fraises, la pastèque, le melon (jusqu'ici j'évitais ce qui me paraissait susceptible de remonter dans les turbulences). Cuisine au Pégasus sous la tonnelle, il fait lourd, cervelles d'agneau haricots verts fraises vaisselle.

Balade en voiture jusqu'à la chapelle de Dromon; c'est l'occasion de réviser et visiter quelques champs vachables. Marche, fleurs, cloches de vaches.
Café à Sisteron, ennui impalpable. C'est dur les conversations entre trois personnes qui en fait ne se connaissent pas, les récits ressortissent soit de l'esbrouffe (quand il s'agit de succès) soit d'une certaine tristesse (quand il s'agit de regrets). Les conversations sur le vol à voile sont intéressantes mais épuisantes car je ne comprends pas la moitié des mots (qu'est-ce que ça veut dire? où cela se trouve-t-il? de quoi parlent-ils?) Je trouve quelques cartes postales, c'est une catastrophe, la plupart comportent des chatons en chaise longue sur fond de Sisteron.

Longue conversation avec H. Je lui raconte ma surprise devant la compétition permanente et les récits d'exploits. Il me répond qu'il a souvent vu ça dans l'armée: «les pilotes et les sous-mariniers sont contrôlés sans arrêt, ils sont jugés en permanence et sont obligés d'être les meilleurs pour progresser. Ça donne ce résultat.»

Apéro, rires et histoires limite caricaturales, avec le mec prêt à tout accepter tant qu'il ne s'agit pas de sa fille (autour de la table nous essayons de lui faire comprendre qu'il s'enfonce, mais rien à faire, il continue son récit), omelette, fraises, je termine mon thé seule au Pégasus en tapant ces quelques lignes.

Demain il est prévu du vol d'ondes et tous les pilotes expérimentés autour de moi sont emplis d'impatience.


Liste des sites découverts aujourd'hui:
netcoupe.net pour obtenir mes circuits (cliquez sur un nom de club puis sur le nom d'une personne puis sur détails. Cliquez sur QFU.FR ou carte 122.2 pour voir le circuit effectué).
La direction du vent avec un curseur à droite permettant de le connaître à différentes altitudes et un curseur en bas permettant d'avancer dans le temps.
L'application SDVFR

Le mont Ventoux

Nous ne sommes plus que quatre, donc aujourd’hui pas de partage: c’est parti pour un vol long.

Je ne sais pas trop comment raconter: au moment du largage nous avons rejoint un groupe de vautours (l’optique de mon téléphone n’est pas assez bonne pour les capturer), nous sommes allés au mont Ventoux. Pat m’a beaucoup laissé piloter; c’était très perturbant car il donnait très peu d’indications («si je ne te laisse pas décider tu n’apprendras jamais») et j'ai du mal à engager les spirales, j'arrive à stabiliser l'assiette si je regarde à l'extérieur mais dans ce cas je ne vois pas le vario donc je ne sais pas si je monte dans l'ascendance et si je l'ai bien centrée.
Je laisse trop descendre le planeur et nous n'arriverons pas réellement à remonter pour aller aussi loin que souhaiter. Nous frôlons l'atterrissage, puis repartons en direction de Dignes où nous sommes arrêtés par un paquet de pluie.

A tout moment il faut prendre des décisions, c'est très intéressant mais épuisant. J'apprends qu'il faut aller vite entre les nuages (ce n'est pas instinctif car aller vite c'est piquer davantage donc potentiellement descendre davantage) et ralentir sous les cumulus à la recherche de l'ascendance, que les ascendances sont plutôt du côté du soleil mais pas toujours, «ça dépend du vent».
Toutes les règles sont ainsi, générales et inapplicables. Une sorte d'anti-statistique.
A un moment je fais une grosse bêtise et Pat rattrape du manche en catastrophe. La rapidité de sa réaction me fait comprendre que nous sommes passés près de l'accident, il se crée en moi une dépression qui doit être la réaction à la peur. Au bout de quatre heures je finis par rappeler à Pat que ce n'est que ma onzième sortie et que je n'y arrive plus s'il ne me donne pas quelques indications. Il reprend le manche et termine la sortie. Il commente: «c'est bien, tu écoutes ce qu'on te dit et tu n'es pas chiante», ce qui me fait plaisir.

Nous couvrons bien les planeurs car demain il est prévu de la pluie.

C'est moi qui offre l'apéro. J'assiste avec incrédulité aux récits des vols de la journée, je repense à Compagnon nous expliquant que la littérature est née autour du feu quand l'homme des cavernes racontait sa journée de chasse (est-ce une théorie de Carlo Ginzburg? Je ne sais plus). Je suis stupéfaite devant l'aspect «comparaison de taille de bites» de ces récits: sérieux, ils en sont encore là? Je me demande s'ils en sont conscients (sans doute que non).
Je bois trop de vin rouge.

Des tongs et un bob

Durant la nuit je me rends compte que j'ai mal à l'avant-bras au raccordement du coude: hier je me suis tant crispée sur le manche que je me suis fait une tendinite — ou même plus puisque j'ai des douleurs jusque dans l'épaule.

Briefing de 10 heures: trop instable, trop d'orages, on ne volera pas aujourd'hui. Il fait lourd, j'ai mis une chemise à manches longues pour protéger mes coups de soleil (hier par SMS «— J'ai attrapé des coups de soleil. — Ça change de l'aviron de mer.»)

Courses, j'achète des tongs (je ne supporte pas de rester en chaussures le soir, j'ai besoin d'avoir les pieds à l'air dès qu'il fait beau, dès le printemps), un short (pour bronzer des jambes: comment je vais faire sans l'aviron?) et un bob d'une très jolie couleur vert d'eau (malheureusement je ne pourrai sans doute pas le porter en planeur: sa couleur trop claire va se refléter dans la verrière et gêner le deuxième pilote — ou alors quand je serai lâchée seule (croisons les doigts: dans un an, deux? combien d'heures de vol?))

Déjeuner ensemble, j'ai failli cramer la poêle du club house, puis temps libre. Je regarde le dernier épisode en date de Mrs Maisel, puis je blogue. Je m'endors sur place, je retourne au club house (le Pegasus, c'est le nom d'un planeur) dans l'espoir de trouver un canapé. Café et petits écoliers avec DB. Il retourne à ses copies et je m'endors sur le canapé même s'il fait un peu froid à l'intérieur.

Les recherches pour tenter d'illustrer ces billets m'ont fait trouver un site de géologie et un article de… Charles-Pierre Péguy. Serres met en ligne une carte très utile des barres et montagnes utiles en planeur. Les points verts correspondent aux champs vachables.

Pluie et orage vers cinq heures.

Le soir repas au Pegasus. Champagne amené par AB pour fêter son (re)lâcher. (Je suppose qu'il n'avait pas volé depuis longtemps et qu'il a dû reprendre des cours d'instruction).
J'apprends qu'il est possible de voler au-dessus des nuages à condition de continuer à voir le sol. Si ça se solidifie et qu'il n'est plus possible de savoir où on est ni de traverser les nuages, il est possible (voire recommandé, voire indispensable) d'appeler les militaires d'Istres qui vous accompagneront jusqu'au sol, par radio ou même en envoyant un avion. Mais attention: il faudra avoir une bonne excuse pour s'être retrouvé dans cette situation, sinon c'est le conseil de discipline et le risque d'être interdit de vol à vie.

Pendant ce temps H et les deux plus jeunes se rendaient à la première cousinade annuelle depuis 2019. Tristoune, me dit H, les oncles et tantes ont vieilli.

Le couronnement de Charles III

Lever 8h50 ce qui est plus que ce que je dors à la maison.

La vie au sol est compliquée à expliquer (et à vivre): dans un sens on attend beaucoup, dans l'autre sens tout va très vite dès que les décisions sont prises — sauf que je ne comprends pas vraiment à quel moment elles sont prises ni leur teneur.

A 10 heures le briefing. Facile. Mise en piste des planeurs qui sont installés au départ de piste face au vent. La particularité locale, c'est que le vent tourne entre midi et une heure: au fur à mesure que les parois des montagne chauffent, l'air s'élève le long des parois, créant un appel d'air dans la vallée qui forme la brise (terme consacré), brise qui souffle du sud vers le nord.
Il y a donc un pari sur l'heure de départ et l'endroit où installer les planeurs: le vent aura-t-il tourné ou pas?
Les planeurs anglais s'installent en piste 35, c'est-à-dire face au nord (le nord = 360 degrés), tandis que nous, les quelques Français, pensons malin d'aller tout de suite en 17, face au sud (180 degrés).

Repas à midi ou même un peu avant, puis nous montons en 17 (la piste fait 950 mètres (je n'arrondis à pas un kilomètre car tous les mètres comptent, à l'atterrissage et au décollage)).

Les planeurs anglais commencent à décoller. Nous observons leur stratégie, où se font-ils lâcher, au dessus de Chabre ou au dessus de Hongrie? Quelle hauteur attendent-ils avant de larguer? (plus on monte haut plus c'est facile mais plus ça coûte cher)

Nous sommes trois planeurs au seuil 17 (Pat et DB, Dom et Marc, et un «local»). Nous regardons les planeurs décoller en 35. Nous attendons que le vent tourne, que les remorqueurs donnent le signal du changement de seuil de décollage.

Nous allons attendre une heure: le vent a tourné, mais deux avions remorqueurs semblent nous avoir oubliés. Nous sommes sur le bord de la piste (impossible de s'aligner (se mettre face à la piste) tant que d'autres décollent en face), le soleil tape (c'est la même malédiction que l'aviron: pas d'ombre sur les fleuves, pas d'ombre sur les pistes d'aérodromes), nous cherchons l'ombre sous les ailes. Les verrières sont grandes ouvertes pour éviter la surchauffe, calées par un coussin pour éviter qu'elles ne se referment brutalement et ne cassent (la terreur des vélivoles).

Ils partent enfin, il est deux heures. Je vais m'installer en terrasse au Zinc avec un coca en attendant de rejoindre le seuil 17 à 16h30 pour remplacer Marc.

Nous partons au-dessus de Chabre puis remontons vers le nord. Toute la sortie est à nouveau un cours de géographie: il faut reconnaître les monts, apercevoir les endroits où il est possible de se poser. Il ne faut pas aller à Gap — trop de parachutistes; il ne faut pas atterrir à Aspres par vent du nord.

Nous montons vers le col La Croix. La sortie est un miracle, avec des varios (variations? nombre de mètres par secondes, en plus ou en moins) de deux à trois mètres y compris en ligne droite: ça monte tout seul. La pluie tombe au nord et nord-ouest, nous la contournons, nous jouons avec les cumulus et les barbules, j'arrive à peu près à spiraler; c'est beaucoup plus facile en regardant l'extérieur plutôt que les instruments. (Je me suis bien débrouillée mais je n'ose le crier trop fort avant de le confirmer une deuxième puis une troisième sortie).

Les cumulus nous aspirent si bien qu'à un moment je me retrouve dans le nuage. C'est flippant, nous sommes totalement aveugles; heureusement que nous sommes bien au-dessus des montagnes: «sors les aérofreins et plonge, il faut sortir de là!» me crie Dom (le cri n'est pas de la panique mais est destiné à être sûr que j'entende).

Sans que je sache si c'est pédagogique, si c'est du bizutage ou si c'est par plaisir parce que la voltige lui manque, Dom me fait un cours sur l'accélération (à 180 km/h, la carlingue semble se désintégrer), le décrochage (à 60 km/h environ: le bruit s'arrête, plus de vent, nous tombons) et réalise des huits paresseux, sorte de montagnes russes libres.

Nous faisons demi-tour. Il est encore trop tôt pour rentrer, nous faisons un tour au-dessus de la Baume et du Hongrie, à la recherche des dernières ascendances le long des parois.
Retour. La Durance minuscule coule au ras du terrain, vingt mètres plus bas. Ce relief crée des «rabattants», qu'il est préférable d'éviter en attaquant le terrain légèrement de biais.

Nous sommes rentrés. Je suis enchantée de ne pas avoir été du tout malade, est-ce le coca ou le métier qui entre?

A 19h30, rendez-vous au restaurant le Zinc. Le jeune remorqueur prend l'apéro avec nous. Il est également instructeur et est né en 2000 (!!! vive la jeunesse) Son club d'origine est Romorantin, il vient de Vendôme: «mais pourquoi pas Blois?» Il n'y a plus d'instructeur. Le terrain est parfait, en croix, mais il n'y a plus personne.

Restau au Zinc tous ensemble. Nous rions beaucoup. J'en profite pour poser des questions qui m'intriguent; par exemple, comment peut-on continuer à planer à haute altitude, quand l'air se raréfie? Réponse: il faut prendre de la vitesse, on crée sa propre portance. Idem pour les avions de ligne: ils ne consomment pratiquement rien en altitude, c'est pour ça qu'ils essaient de monter au plus vite. Toute l'énergie est consommée pendant la montée.

Couronnement Charles III. La restauratrice offre un cube de feu d'artifice aux pilotes de la RAF. Sur le coup ils ne réagissent pas, ils sont pris par surprise, ils ne s'attendaient pas à ce sujet en fin de repas dans un restaurant de vélivoles en France.
— Dis donc, il a fallu les pousser pour chanter.
— Ils ne se sentent peut-être pas concernés.
— C'est la RAF quand même.

Sisteron jour 1

Bonne nuit malgré l'absence de tapis de sol: pas de caillou qui remonte traitreusement durant mon sommeil (c'est la particularité du camping à même le sol: le soir vous vous couchez la surface est plane, le matin vous vous levez vous avez l'impression que des caillous ont vicieusement émergé durant la nuit et que vos côtes et hanches se souviennent de chacun).

Petit déjeuner au Pegasus (le foyer du club, où je croise un jeune pilote remorqueur), inscription au club de Sisteron, briefing («le briefing est à 10 heures, Fred ne supporte aucun retard»). Je savais que le planeur cherchait à attirer des pilotes femmes, je suis soufflée de constater qu'il n'y en a aucune dans la salle. J'ai toujours été dans des milieux masculins (aviron, ingénieurs), mais jamais à ce point-là.

briefing de RAF


— Ça alors! Mais pourquoi les pilotes de la RAF viennent-ils faire du planeur à Sisteron?
— Ça coûte beaucoup moins cher à l'entraînement. Quand tu sais piloter un planeur tu sais tout piloter.

Le vent changera de sens vers 13h, il faudra donc emmener les planeurs en 17; la météo s'annonce mauvaise dans deux jours.

Courses dans la zone commerciale du coin. A vrai dire je ne sais pas trop quoi acheter, je sais juste qu'il ne faut pas que je mange trop avant de voler. Pour ce midi je me prends des sushis, pour les autres jours les bols déhydratés japonais qu'affectionnent les enfants (en d'autres termes, le Bolino japonais). Je fais un saut au magasin de sport pour prendre un tapis de sol et des lunettes de soleil cheap (ça m'ennuirait d'abîmer mes lunettes achetées en Grèce). J'hésite longuement devant des tongs que je finis par ne pas prendre.

Déjeuner devant la caravane de Pat, soleil, c'est les vacances. Il fait chaud. Je regrette les tongs et même un short: j'aurais pu préparer mon bronzage car cela va être plus dur cette année sans l'aviron.
Marc devait voler en premier avec Pat mais il n'arrive pas. Je vais donc commencer. Je m'applique à montrer à Pat que j'ai bien écouté tout ce qu'il m'a dit : collant polaire, chaussettes de foot, sous-vêtement en soie, tee-shirt manche longue, foulard, veste polaire. Devant la température estivale il me prête malgré tout un bob, car le bonnet en polaire, ça va faire beaucoup. Néanmoins il me fait enfiler d'énormes surbottes autrichiennes («Ne marche pas avec»). Parachute. Je m'installe.
— Tu as des canules? [pour l'oxigène]
— Euh non, tu m'as pas dit qu'il en fallait.
— C'est pas grave, je t'en prêterai au besoin.

Nous avons eu beaucoup de mal à monter. Le principe est de toujours avoir la hauteur minimale nécessaire pour rejoindre une piste d'atterrissage, pas question de s'éloigner de Vaulmeilh tant que cette hauteur n'est pas atteinte. Nous restons 40 minutes à tourner au-dessus de la Malaup pour atteindre 2200m, je sens derrière moi la déception de Pat, il tient tellement à me faire faire un beau vol. Je n'ose pas lui dire que je m'en fiche, je ne suis pas venue faire du tourisme, mais vérifier que ça me plaît, que je n'ai pas peur, que je ne suis pas malade de façon rédhibitoire.
De temps en temps il me dit: «tu vois en bout d'aile? C'est l'aéroport de Gap, d'Aspres, de Barcelonette,...» J'hésite à lui avouer que je ne distingue pas grand chose. Ou je distingue, mais sans savoir si c'est bien ce que je pense. La seule façon de vérifier serait de se rapprocher… et donc d'être obligés d'atterrir, puisque pas de moteur pour remettre les gaz. Il me donne des noms de montagne et de chaînes que je comprends à moitié. Il me faudrait une carte à consulter avant d'être en l'air.
Quoi qu'il en soit, et même si ce n'est pas verbalisé, il s'agit bel et bien de commencer à me familiariser avec les terrains de secours en cas de problème. Approche rationnelle du risque.

Nous allons jusqu'au lac de Serre-Ponçon, nous prenons quelques ascendances à 3 ou 4 mètres/secondes. Ça secoue; je suis rassurée, je ne suis pas malade et je n'ai pas peur. Nous montons jusqu'à 3000 m. Je fais des rots comme un bébé, normal paraît-il, c'est dû aux variations de pression, ça fait gonfler les intestins. Voilà quelque chose qu'on ne raconte pas dans Top gun.

Pat me laisse les commandes le long des parois, ça ne se passe pas trop mal, mieux que lorsque j'essaie de spiraler dans les ascendances où je suis capable de faire des accélérations/décélérations très brutales (150km/h à 100km/h en un geste de manche) qui malmènent la machine et me désorientent. Il y a trop de choses à faire et à surveiller, je suis crispée et j'ai terriblement chaud, je ne suis pas du tout habillée de façon adéquate.

circuit en planeur au-dessus de Sisteron


Vol de 2h33, je suis remplacée par Marc.
Je ne sais plus ce que j'ai fait en attendant, il me semble que j'ai dû ramener la voiture de Pat au camping (c'est toujours intéressant, un homme qui vous file les clés de sa voiture sans vous connaître plus que ça, surtout quand il s'agit d'un break BMW.)
C'est à ce moment-là que je reçois cet arbre de décision qui me convainc que cette activité est pour moi.

graphique du bonheur grâce au planeur


Le soir nous sommes invités par Marc qui a pris un gîte avec sa femme. Repas très gai au cours duquel nous abordons un sujet envahissant: la gestion de la vessie par le pilote de planeur. J'en avais eu des échos cet hiver au club, c'est ainsi que je savais que les filles utilisaient des protections pour incontinence. Les garçons ont chacun leur méthode; ceux autour de la table utilisent plutôt des poches en plastique qu'ils balancent par la petite fenêtre de la verrière. La femme de Marc nous regarde avec effarement, je suis intérieurement morte de rire: quel sujet de conversation avec une dame qui ne vole pas, qui a accompagné son mari et passe son temps à l'attendre, et qui nous a invités à dîner.

Nous passons une très bonne soirée et rentrons sous la pleine lune.

Course contre la nuit

Des exercices aéronautiques interdisent de décoller de Moret: finalement nous partirons de Coulommiers.
Comme nous devons arriver avant la nuit aéronautique (à 21h11, une demi-heure après le coucher du soleil à 20h41), DB passe me chercher à Créteil Université à 16h30 (lieu choisi comme croisement de nos trajectoires, entre lui sur la A86 et moi sur la ligne 8).

DB est inquiet, il a pris du retard à cause d'un accident sur la route.
Nous arrivons au terrain de Coulommiers, nous prenons du retard une deuxième fois à sortir un avion garé devant le Piper, puis le Piper, puis nous rentrons le premier avion, puis nous faisons le plein des réservoirs dans les ailes.

Piper à Coulommiers


Bref, tout cela prend davantage de temps que prévu et DB est inquiet, il faut arriver avant la nuit, c'est sa licence de pilote qui est en jeu. Nous partons, les villes et les cours d'eau défilent. C'est un véritable cours de géographie. Sens, Migennes, Auxerre, Avallon, Le Creusot, Mâcon,… Au fur à mesure que nous descendons, DB contacte la tour de contrôle locale qui nous donne un numéro qu'il entre dans le transpondeur pour être identifié au radar. Message radio pour dire au revoir au contrôleur de la zone que nous quittons; message radio pour signaler notre position à la tour suivante. Nous passons ainsi de main en main, tel un furet entre les tours de contrôle.

Au départ, DB m'a emprunté un criterium et a noté l'heure: à un moment donné (j'ai oublié quand), il faudra changer de réservoir pour équilibrer le poids des ailes.
C'est à ce moment-là que DB me fait le coup de la panne.
Il passe sur le second réservoir… et l'hélice s'arrête, le silence se fait. Silence impressionnant. Je regarde rapidement DB puis bien droit pour le laisser réfléchir, intérieurement incrédule: ce n'est pas vrai, ce n'est pas possible, il va forcément se passer quelque chose.
Je n'ai pas peur, je suis plutôt curieuse, j'ai confiance en DB et j'ai vu trop de films: il va trouver une solution, mais laquelle? va-t-il planer, se poser sur une prairie moteur éteint, ou dans un cours d'eau genre Sully?
Il repasse sur le premier réservoir, relance le moteur (bruit rassurant), fait balancer les ailes et descend à nouveau l'interrupteur pour passer sur le second réservoir. Le moteur continue sans heurt. DB explique calmement: «je pense qu'il y avait une bulle d'air dans le tuyau».

Le soleil commence à descendre nettement. Nous atteignons Lyon que DB avait prévu de le contourner pour ne pas déranger les contrôleurs de l'aéroport de Saint-Exupéry, mais il obtient l'autorisation de survoler la ville à plus haute altitude qu'il ne l'espérait, c'est-à-dire en volant plus vite dans un air plus rare.
DB est ravi, il fait des calculs sur son genou avec une feuille et mon critérium et relève la tête: «nous devrions arriver à 9h04, avant la nuit aéronautique.»
Il m'avait déjà avertie que si nous étions en retard, nous serions obligés de passer la nuit à Valence.

Nous passons le long du Vercors, il est 20h15, le soleil est bas.

coucher de soleil en altitude


Nous arriverons quatre minutes en retard par rapport aux prévisions de DB.

Omelette et bière au Zinc (le restaurant de l'aérodrome). Je parle de la Cordillère des Andes, DB me raconte qu'Adrienne Bolland, face à une montagne qu'elle ne pouvait franchir avec un moteur trop faible, continua vers la paroi au lieu de faire demi-tour: «ça lui a sauvé la vie. Le vent a soulevé son aéronef et elle est passée davantage en planant qu'en volant. Si elle avait fait demi-tour, le vent l'aurait écrasée contre la paroi.»

Puis arrivera le moment le plus embarrassant: le montage d'une tente que je n'ai pas montée depuis cinq ans, dans la nuit noire, éclairée par une lampe frontale détendue, entourée de trois hommes qui me donnent des conseils, avec l'angoisse d'entendre le crac d'énormes escargots qui envahissent la pelouse la nuit. Mes compagnons sont par ailleurs très inquiets que j'ai froid la nuit.

Je finirai par m'en débarrasser en emmenant la toile dans les sanitaires du camping, en allumant la lumière et en faisant le point (je l'avais tout simplement mise à l'envers sur le sol), puis en revenant sur mon emplacement monter ma tente à la lumière d'un stylo lumineux offert par un consultant (stylo que je ne savais même pas que j'avais emporté).

C'est à ce moment-là que je me suis rendu compte que j'avais oublié mon tapis de sol.

Préparatifs jour 2

Je vois Miriam ce soir, je continue le vocabulaire et la syntaxe : "à le", "à les", ça n'existe pas. Il n'y a qu'"à la" ou "à l'institut", "à l'opéra". Non ce n'est pas de ta faute, ça veut dire qu'il y a un problème de pédagogie, on apprend d'un côté le nom et l’article, de l’autre les prépositions et on ne met jamais les deux ensemble.

«J’en veux plus», elle me dit son étonnement devant les mêmes mots qui veulent dire deux choses exactement opposées.
Je réexplique, j’écris: j’en veux plus, je n’en veux plus. Pour éviter les confusions je propose d’utiliser plutôt «encore», ou «davantage».
"Davantage" n’est pas "d’avantage", avantage = contraire d’un handicap
Bref, je m’amuse bien.

Le soir, deuxième sac, celui des vêtements. Qu’emporter, est-il nécessaire/souhaitable d’emporter des vêtements de fille pour le soir? Dans un sens, je me dis que je suis avec des passionnés qui se moquent du reste; dans l'autre je me suis souvent fait avoir à l'aviron où j'étais la seule à n'avoir rien prévu. Oui mais à l'aviron il y avait des filles, là il n'y a que des mecs (donc pas de contraste, donc ils ne le verront même pas); mais justement, ça leur ferait peut-être plaisir (c'est sensible, un mec; il y a des petits efforts qui ne coûtent pas grand chose, pourquoi se priver). Mais je n'ai pas beaucoup de place, il faut que je puisse porter les deux sacs, combien de pulls, de chaussettes, il paraît qu'il fait très froid en altitude, pas de boucles d'oreilles, un bâton de fond de teint ça suffira, les chargeurs dont je ne sais pas où je pourrai les brancher, la bouteille de shampoing ne tient pas je la mets sur le côté du petit sac à dos dans lequel j'ai empilé la nourriture de premier secours; je ne sais pas ce qu'il y a dans la cuisine ni quand on ira faire les courses et je vais dépendre des autres; un litre de lait, des flocons d'avoine, de boîtes de lentilles cuisinées, des barres caloriques pour les longues virées (il paraît que ça demande une énergie dingue), je glisse la lampe frontale dans l'autre poche du sac à dos, je remplace l'écharpe en coton (rose) qui prend beaucoup de place par un tour du cou (bleu) en soie impalpable.

Je suis morte de trac et impatiente, je n'arrive pas à me souvenir d'une telle impatience, un tel désir, peut-être le père Noël à cinq ou six ans? Pourvu que je ne vomisse pas, pourvu que je supporte, pourvu que j'ai emporté les bonnes fringues. Je sais bien qu'il peut pleuvoir toute la semaine, il est possible que je ne vole pas pendant dix jours.
J'ai hâte.

Mon jet privé à moi

Comme je n'écris plus beaucoup, je ne sais plus si j'ai raconté ici qu'en janvier j'avais prévu de faire un stage de planeur à Sisteron début mai.
En mars est arrivée la perspective d'un appel d'offres très important pour ma société. Quarante-cinq jours pour répondre, adieu stage. Et changement de direction le 15 mai. Adieu bis.
Mais l'appel d'offres a tardé. Rien en mars, rien mi-avril. Travail préparatoire avec les consultants (ma boîte n'a jamais répondu à un appel d'offres, tout le dossier est à monter. Nous avons donc commencé à préparer la partie commune à tout appel), puis arrêt.
Pleine d'espoir, j'ai prévenu les vélivoles que je viendrais peut-être, que je préviendrais au dernier moment. «Pas de problème, mais dans ce cas, il faudra que tu dormes sous la tente.»
OK. Le 15 avril, j'ai récupéré le sac de couchage "hiver" de mon fils.

Hier, mes vacances du 9 au 12 mai ont été acceptées. Hier soir, j'ai envoyé un mail pour prévenir les autres pilotes et j'ai fait mon inscription sur le site de Sisteron. J'ai commencé à regarder comment descendre à Sisteron: train jusqu'à Marseille puis Sisteron, ou train jusqu'à Aix puis bus.

Ce matin, encore au lit (qu'est-ce qui m'a pris? je ne fais jamais ça. Sans doute que la douche était occupée), j'ai regardé mes mails et j'ai trouvé ça:
Si tu peux prendre un RTT ou une journée de plus le vendredi 5/5, je peux t'emmener car je pars en avion jeudi 4 soir ou vendredi matin tôt en fonction de la météo.
2h30 de vol au lieu d'une journée de train...
Tu devras seulement prendre un billet retour car je remonte le mardi 9/5.
Appelle moi pour les détails.
À +
— Et tu vas comment à Sisteron?
— En avion.
— Tu pars d'Orly?
— Non, non, pas un avion de ligne, un avion privé, il passe me prendre sur la colline derrière chez moi.

J'ai un peu honte (conviction écolo oblige), mais j'en ai le souffle coupé.
Maintenant il faut que j'obtienne un jour de congé de plus.



Précisons: le titre est une exagération censée illustrer ma sensation de démesure. Bien sûr, il ne s'agit pas d'un jet. J'ai appris depuis qu'il s'agit d'un Piper A28.
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